Rencontre avec Odile Flament, la fondatrice toc toc toc des éditions jeunesse Cot Cot Cot
S’il y a une figure qui traverse les siècles, les époques et les cultures, c’est bien celle du vampire. De l’abominable créature griffue à la Nosferatu à l’élégant intellectuel à la Lestat, du prédateur au séducteur, du bourreau à la victime, le vampire n’en finit pas de se renouveler, tout en restant diablement fidèle à sa légende d’origine. Sous la plume de l’autrice et spécialiste Morgane Caussarieu, le vampire connaît une nouvelle vie avec « Dans tes veines », initialement paru en 2012 et récemment sorti dans une version revisitée. Toujours aussi séduisant, mais bien plus violent et dangereux que certains "grands classiques" récents ne l’ont laissé entendre.
Avec « Dans tes veines », votre premier roman, vous revisitez le mythe du vampire. Comment avez-vous travaillé pour le renouveler tout en lui restant fidèle ?
Je suis une passionnée du mythe, j'ai écrit un essai sur le sujet, et il était important pour moi de faire un hommage à l'histoire du vampire en littérature et au cinéma/télévision à travers les âges, par des petits clins d’œil et hommages à tout ce qui a été fait avant moi. Mais ce roman n'est pas qu'un exercice post-moderne, j'ai tenu à apporter aussi ma propre vision du mythe, très organique, où les fluides, le body-horror et l'anatomie prennent beaucoup de place. Par exemple, mes vampires ne se nourrissent pas que de sang, mais de tous les sucs que peut produire un corps humain, sueur, larmes, salive, sperme etc.. et leur cœur, espèce d'animal parasite étrange animé d'une volonté propre, fonctionne de manière très différente du nôtre.
Qu’est-ce qui vous a poussée à travailler à nouveau ce premier roman pour en sortir une nouvelle version ?
La première version en 2012 fonctionnait beaucoup sur le principe de l'anti-Twilight, mais pour une réédition, ça ne faisait plus vraiment sens de proposer des vampires uniquement comme antithèse de la mode d'il y a dix ans. Je me suis donc replongée à fond dans leur biologie et leur façon de voir le monde par rapport à la soif qui les consume, pour leur ajouter d'autres attraits. Et puis, il y avait dans ce premier roman beaucoup d'erreurs de jeune écrivaine et de longueurs qui étaient devenues assez insupportables à mes yeux et auxquelles je voulais remédier. Je pense que la nouvelle version est plus mâture et plus fluide.
Qu’est-ce qui vous plaît dans cette figure, au point d’en être une spécialiste ? Comment êtes vous entrée dans le monde des vampires ?
Je pourrais vous faire une réponse bien intello, mais honnêtement, je pense que c'est l'érotisme qui m'a attiré en premier lieu enfant/jeune ado, dans le vampire, avec Anne Rice. Il est le monstre le plus sensuel de tous. Je ne savais pas ce que c'était, l'érotisme, à cet âge-là, et les œuvres vampiriques et horrifiques m'y ont donné accès de manière secrète, voilée, sans que je comprenne vraiment ce que j'étais en train de regarder – des choses tenant trait au BDSM sans doute, ne nous mentons pas, mais je n'aurais jamais pu le formuler ainsi ou même m'en rendre compte. Non que je sois spécialement branchée là-dedans, hein, mais je pense que c'est quand même surtout pour cela que les gens aiment les vampires. Ils sont sexy. Ils sont dangereux. Ils sont les prémisses de la dark romance et de Fifty shade of grey. Et en plus d'être sexy et dangereux, le vampire est aussi éminemment cool, quand il s'incarne sous les traits de Spike dans Buffy. Je suis de cette génération. Comment ne pas tomber amoureuse ? Plus tard en devant adulte, j'ai aimé la façon dont le vampire incarne la marginalité, comment il sert de métaphore à tout plein de choses, et je me suis mis à m'y intéresser de façon plus académique.
Comment ce mythe et tout ce qu’il véhicule parvient à rester aussi actuel ?
À chaque époque son vampire, c'est une créature polymorphe, qu'on tord à merci, et qui est très humaine aussi, et ainsi apte à refléter les sujets de société humain, et les préoccupations du moment. À travers eux ils est aisé de parler d'épidémie, de lutte des classes, de dénoncer racisme, homophobie, de métaphoriser le viol ou la pédophilie. Des thèmes qui ne semblent jamais cesser d'être d'actualité, hélas.
Vous faites beaucoup de clins d’œil à d’autres romans et films de vampires, quelles sont vos inspirations ?
J'aime énormément l’œuvre d'Anne Rice et ses adaptations, les séries Buffy contre les vampires et True Blood, les livres Âmes Perdues de Poppy Z Brite, Vampire Junction de SP Somtow, les films Génération Perdue, Les Prédateurs, Aux frontières de l'aube. En règle générale, mes principales inspirations vampiriques sont des œuvres des années 1980 et 1990 assez connues qui m'ont marquée ado et se sont inscrites dans mon ADN. Je lis et vois beaucoup de choses plus cryptiques ou récentes, mais je ne pense pas qu'elles constituent d'influences majeures sur ma prose. J'essaie de suivre ma propre route.
Comment vous êtes-vous dirigée vers les terres du fantastique ? Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans ce genre ?
J'aime son côté très réaliste, crédible. Pour moi, c'est très important de croire aux monstres pour qu'il soit vraiment effrayant. Je n'aime pas vraiment la fantasy ou l'urban fantasy, parce que justement rien n'est fait pour faire accepter petit à petit au lecteur l'existence d'êtres surnaturels, vu que les personnages savent déjà qu'ils existent. Je fais une petite exception pour Buffy, mais seulement parce que la première saison s'inscrit dans le genre horrifique, et nous prend par la main pour nous emmener vers l'urban fantasy. Quand au fait que j'écrive principalement du genre et peu de blanche, je crois que c'est parce que j'aime pouvoir parler de choses par métaphore, et aller dans l'excès, ce que le fantastique et l'horreur permettent davantage.
À paraître le 10 octobre : le prochain roman de Morgane Caussarieu, Visqueuse,
et l'anthologie de textes horrifiques Les Nouveaux Déviants, qu'elle dirige avec Christophe Siébert. Le tout au Diable Vauvert, bien sûr.