Rencontre avec un éditeur indépendant spécialisé dans les livres sur le metal : Flammes Noires !
Projet triennal financé par le programme Europe Créative de l’Union Européenne, Archipelagos a pour objectif de mettre en lumière la diversité des voix littéraires européennes et, plus spécifiquement encore, le travail d’exploration mené par les traducteur·rice·s littéraires. Destiné à interpeller tant les profesionnel·le·s du livre que les lecteurs et lectrices, le projet est porté par ATLAS (Association pour la promotion de la traduction littéraire), en collaboration avec de nombreux partenaires. Rencontre avec Gabrielle Young, qui nous emmène dans les coulisses d’une démarche singulière et indispensable sur les routes des littératures européennes.
Quelle est la fonction d’Archipelagos, à qui se destine ce projet ?
Archipelagos s’adresse à tous les acteurs du livre, en particulier aux traducteurs littéraires. En apportant un soutien économique à leur activité de découverte et de promotion de nouveaux textes, le projet met en lumière le travail invisible des traducteurs. Nous soutenons leurs recherches à travers des bourses de résidence leur permettant de repérer de nouvelles voix à traduire, leurs échanges en organisant des ateliers éditoriaux ou entre pairs, mettons en lumière leurs parcours et leurs trouvailles… En 2024, la première année du projet, 46 traducteurs littéraires ont effectué une résidence dans le cadre d’Archipelagos. Une quarantaine de traducteurs ont complété des ateliers éditoriaux, de traduction et de préparation à la lecture publique. Le programme s’adresse également aux libraires, bibliothécaires et éditeurs, et plus globalement aux passionné·es de littérature, afin de leur faire découvrir des littératures européennes moins diffusées. En 2025, nous organisons chaque mois des webinaires gratuits avec l’École de la Librairie. Les découvertes issues de ces explorations nourriront l’attention du public envers d’autres façons de dire le monde : Archipelagos entreprend de développer les routes littéraires en Europe.

Comment est-il né, à partir de quels constats ?
Le projet a répondu à l’appel à projet d’Europe Créative « Circulation des œuvres littéraires européennes ». Archipelagos est né à partir du constat qu’une très grande proportion de livres traduits en Europe sont traduits de l’anglais, laissant peu de place aux autres langues européennes. En effet, le rapport ‘Traducteurs en couverture’ (un rapport du groupe de travail pour la Culture 2019-2022 de l’Union Européenne) démontre que 58% des livres traduits en français par an sont traduits de l’anglais. Pour l’Allemagne, c’est 61% des livres traduits et pour l’Italie 58%. La diversité dans la traduction littéraire est doublement importante : d’un point de vue économique ainsi que d’un point de vue sociétal. Économiquement, il est important pour les littératures moins traduites d’être lues à l’étranger afin de faire vivre les maisons d’édition, car le revenu domestique n’est souvent pas assez conséquent. De même, dans la plupart des pays européens, les traducteurs sont dans des situations financières très précaires. Ceci a été identifié comme « une menace pour l’attrait de la profession et la pérennité du secteur de la traduction littéraire ». Le projet Archipelagos permet donc de soutenir les traducteurs littéraires et la maison d’éditions européennes en apportant un soutien économique et de visibilité. Socialement, la traduction est une nécessité au niveau européen : lire les livres de ses voisins est une façon de les comprendre. Il est donc important de soutenir la découverte, la traduction et la publication de livres d’autres cultures. Le projet lui-même montre l’importance (et la possibilité !) de la coopération entre plusieurs pays européens : il regroupe 12 partenaires dans 8 pays différents, travaillant dans 10 langues, œuvrant pour un même but.

Pouvez-vous donner quelques exemples d’actions menées, et les résultats que vous avez observés ?
En novembre 2024, nous avons organisé chez ATLAS un atelier éditorial à l’attention de traducteurs ayant complété une résidence Archipelagos. L’atelier a donné l’occasion à un groupe de 9 traducteurs de toutes langues vers le français de travailler ensemble à la sélection et à la promotion de textes à traduire, pendant cinq jours de résidence. Chaque traducteur·ice a sélectionné un texte découvert pendant sa résidence afin de le promouvoir à travers une ‘capsule sonore’. Celles-ci ont été réalisées en partenariat avec Making Waves. L’atelier leur a permis de se retrouver entre pair·es, d’échanger, de bénéficier de retours sur leurs choix de textes et leur façon de les présenter. Le but des podcasts est de promouvoir les livres proposés : donner envie à un.e éditeur.ice de s’adresser au traducteur.ice pour lui demander un rapport de lecture complet, et déboucher sur un contrat de traduction. Le format du podcast met en avant non seulement l’œuvre mais le traducteur.ice, les raisons de son choix, et dans certains cas, le rôle joué par le programme Archipelagos dans la découverte de ce titre. Les podcasts sont disponibles ici. Les traducteur.ice.s sont repartis confortés dans leurs choix, ravis de leurs échanges et avec un nouveau dynamisme. Nous espérons que les podcasts donneront envie aux lecteur.ice.s et éditeur.ice.s d’en savoir plus sur l’œuvre, créant ainsi une demande – et de ne donc pas s’arrêter au soutien lors de leurs résidences d’exploration. En novembre, six lauréat·es du programme Archipelagos ont mis en voix un extrait d’un texte découvert en résidence. Lors d’une lecture mise en scène par Manuel Ulloa Colonia pendant les Assises de la traduction littéraire en novembre 2024, et disponible en vidéo ici, ils et elles ont partagé ces textes avec le public après une semaine d’atelier en résidence au CITL, à Arles. Le public a été séduit par ces textes, certains achetant immédiatement les livres en langue originale afin de pouvoir les lire sans attendre la publication de la traduction en français ! À travers ces lectures de textes inédits en français, nous avons souhaité créer une demande parmi le public et mettre en lumière le rôle méconnu d’exploration des traducteur.ice.s littéraires.
Comment sélectionnez-vous les candidat·e·s aux résidences et ateliers ?
Les résidences Archipelagos sont uniques car elles proposent des bourses d’exploration : ce n’est donc pas un temps que les traducteurs utilisent pour traduire des livres déjà repérés, mais justement pour découvrir ces futurs livres à traduire. En effet, les traducteurs peuvent être apporteurs de projets aux maisons d’édition et être force de proposition grâce à leur expertise dans le marché de leur langue source. Mais ce temps de recherche et de découverte est souvent peu voire non rémunéré, effectué sur leur temps libre. Nous avons donc des critères de sélection assez différents de ceux pour des résidences de traduction plus traditionnelles. Chez ATLAS, nous avons reçu plus de 100 candidatures pour des résidences d’exploration en 2024 (plus de 200 tous partenaires confondus), et le même nombre pour des résidences en 2025. Nous n’avons que 50 semaines à attribuer par an, et la plupart des projets nécessitent entre 2 et 3 semaines. C’est donc un choix difficile : un comité de sélection de 3 personnes étudie toutes les candidatures reçues. Nous examinons de près les projets : est-ce qu’il comblera un manque dans le paysage éditorial ? Est-ce que les livres découverts seraient susceptibles d’intéresser les éditeurs dans le pays de la langue cible ? Est-ce que le projet est réaliste ? Est-ce que c’est véritablement de l’exploration ? Nous tenons en compte la diversité des langues, ainsi que la diversité d’expérience des traducteurs afin de soutenir traducteurs débutants et confirmés. Nous faisons en sorte que les projets retenus explorent différents aspects du marché, surtout lors d’une même combinaison langue cible-langue source. Par exemple, en 2024, deux traductrices retenues (Sarah Rolfo et Lola Maselbas) nous ont proposé des projets de traduction de l’arabe vers le français très différents : l’une est partie à Berlin explorer la littérature de la diaspora arabe installée dans cette ville, tandis que l’autre est venue à Arles en résidence au CITL afin d’avoir le temps d’éplucher le catalogue en ligne d’une maison d’édition arabophone. Ce sont des projets d’explorations avec la même combinaison linguistique, mais avec une approche très individuelle.
Quels sont les développements et prolongations d’actions prévus ?
Nous sommes presque à la moitié du projet. Il nous reste donc u peu plus d’un an et demi d’Archipelagos. Nous continuerons à proposer des résidences et des ateliers en 2025 et 2026, ainsi que notre série de webinaires mensuels sur les littératures moins traduites (informations et inscriptions ici), en partenariat avec l’École de la Librairie et l’Agence Régionale du Livre Provence-Alpes Côte d’Azur. Cette série se terminera avec l’Université d’Été (2 et 3 juillet 2025) de l’École de la Librairie, consacrée aux littératures étrangères. Le programme est disponible en ligne : il y aura une table ronde sur les enjeux de la traduction aujourd’hui, une seconde sur le rôle du traducteur comme apporteur de texte, une rencontre avec la traductrice Josée Kamoun, … Nous continuerons les ateliers éditoriaux et la production de podcasts, ainsi que les lectures publiques aux Assises en 2025 (du 7 au 9 novembre) et 2026. À la fin du projet, la galerie de traducteurs des résidents Archipelagos restera en ligne, avec un accès aux fiches de lecture, rapports de résidence et podcasts des traducteurs. Nous espérons que ce sera un lieu de ressource important pour les éditeurs (notamment grâce à la fonction qui permet de filtrer les traducteurs par langues sources et cibles), et que les traducteurs continueront à partager leurs pages et le projet. La page Instagram du projet restera également en ligne. Enfin, nous garderons contact avec les partenaires du projet afin de continuer à promouvoir la mobilité des œuvres littéraires au sein de l’Union Européenne. Nous parlons déjà de futures collaborations…

De quelles manières ce type de projet bénéficie-t-il, directement ou indirectement, aux lecteur·rice·s ?
Je vais donner l’exemple d’une lectrice que je connais bien : moi-même ! Je ne parle pas, et ne lis pas, l’italien. J’ai lu très peu de littérature traduite de ce pays que j’aime pourtant beaucoup. Le projet Archipelagos de Brune Seban, traductrice de l’italien vers le français, m’a tout de suite parlé. Brune a effectué sa résidence d’exploration pendant deux festivals littéraires à Rome : ‘Bande de Femmes’ et ‘Inquiete’, organisés par la librairie féministe Tuba, pour découvrir des titres de jeunes autrices italiennes de bande dessinée ou de romans. Elle a partagé ses découvertes dans un podcast, et pendant la lecture publique aux Assises de la traduction littéraire à Arles. Dans le podcast, elle présente le roman graphique Sciame (Essaims) de Martina Sarritzu (Canicola, 2023) et en lit un extrait traduit. Sa description du roman m’a tellement plu que je l’ai immédiatement acheté pour l’offrir à une amie italienne. J’attends donc avec impatience qu’il soit traduit par Brune afin de pouvoir lire la suite. Les découvertes de Brune m’ont donné envie de lire plus de littérature traduite de l’italien, et de partir à la découverte de la librairie Tuba à Rome. J’ai pu découvrir un côté jusqu’ici inconnu de la littérature italienne, auquel je n’aurais pas pu accéder toute seule. De façon plus large, le projet bénéficie aux lecteur·ice.s car il met en lumière le métier de traducteur littéraire. C’est un maillon de la chaîne du livre assez mystérieux, et faire en sorte que les lecteurs aient une meilleure compréhension de ce métier est important, et permet de créer des expériences littéraires plus complexes et plus vastes. Les lecteurs sont souvent fascinés par le travail des traducteurs et leur rôle d’explorateur littéraire est une partie qui mérite d’être reconnue. Aujourd’hui, les traducteurs sont malheureusement peu cités lorsqu’on parle de littérature étrangère, et certains n’ont même pas leur nom en couverture du livre traduit. Le mouvement #TraducteursEnCouverture œuvre à remédier cela, et propose la signature d’une lettre ouverte : https://societyofauthors.org/translators-on-the-cover/ Le projet Archipelagos, et l’association ATLAS, souhaitent donc participer à leur échelle à ce mouvement international pour promouvoir le rôle du traducteur littéraire.
