[INTERVIEW] Marie Barbier : "Les classiques sont une piste sûre"

Marie Barbier, éditrice indépendante à la ligne éditoriale éclectique et raffinée, lance une nouvelle collection : "Pépites" et nous met de l'or entre les mains

[INTERVIEW] Marie Barbier : "Les classiques sont une piste sûre"

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7/3/2022
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Quel est le point commun entre un chercheur d'or et une éditrice ? La quête, inlassable, de pépites. D'or, dans le premier cas, de mots, dans le second. Marie Barbier, éditrice indépendante à la ligne éditoriale à la fois éclectique et raffinée, lance une nouvelle collection qui fait du bien : "Pépites" et met de l'or entre les mains de ses lecteur·ice·s.

Pépites, qu’est-ce que c’est ? Quel est le concept de cette collection ?

Pépites c’est le nom d’une collection dédiée à des textes oubliés ou méconnus, français ou étrangers.

Je l’ai voulu brillant, car il ne s’agit pas de combler des lacunes de l’histoire littéraire. Plutôt de savourer des voix négligées qui méritent largement, par leur poésie, leur originalité ou leur charme de revenir sur le devant de la scène. D’où les illustrations de Stéphane Trapier, célèbre entre autres pour ses affiches du Théâtre du Rond-Point, sur un pantone bleuté métallique en arrière-plan. Ces textes (Le voyage aux îles Galapagos, Araminta May) sont des bijoux, et le lecteur doit en être convaincu dès l’habillage.

Pépites dit aussi la difficulté à trouver de bons romans. La matière est rare, n’est pas orpailleur qui veut ! Ou plutôt si, il faut le vouloir, car c’est beaucoup de temps. La maison collabore avec des passeurs qui ont dédié une grande partie de leur activité professionnelle à exhumer ou mieux faire connaître certains écrivains. Je pense notamment à Éric Dussert, qui a préfacé le Voyage aux îles Galapagos. Véritable hommage, sa présentation tient plus de la notice bio-bibliographique, rassemblant tout ce qui est existant sur Éric de Haulleville, qu’à un préambule. Elle retrace aussi l’évolution du récit de voyage, un genre avec lequel cet écrivain bruxellois joue beaucoup, avec un mélange d’érudition et de malice que je n’avais jamais vu ailleurs.

Pourquoi remettre des classiques au goût du jour ?

L’idée, c’est de publier de bons textes, qu’ils n’aient jamais été édités ou qu’ils aient été oubliés. Les classiques sont une piste sûre, la qualité littéraire est là, même si le travail sur la visibilité (différent de celui sur une nouveauté) reste très important. J’aime l’idée que le catalogue propose les deux, classiques et nouveautés. Les classiques permettent de mettre en perspective le monde d’aujourd’hui, rappellent d’autres façons de voir. Ils apportent d’autres sensations de lecture. Araminta May de Carl Jonas Love Almqvist est un livre réjouissant. Il y a beaucoup d’autodérision et un magnifique portrait de femme derrière ce court roman épistolaire. Cette gaîté grave est le fruit d’une époque. Elle est aussi marquante, aussi nécessaire, que la bouleversante simplicité avec laquelle Stina Stoor, autrice contemporaine de Suède également, décrit un amour venu sur le tard (L’Amant dans le recueil Sois sage, bordel !)

Enfin, remettre au goût du jour permet aussi de redonner une chance, de réparer une injustice… Car le temps de rotation d’un titre est très rapide, et s’emballe encore. On sait que la valeur littéraire ne fait pas tout. Il y a le travail de l’éditeur, les circonstances aussi. Certains écrivains sont des champions du personal-branding et ont beaucoup œuvré à leur propre succès, organisant leur vie autour (Victor Hugo par exemple)— un constat qui n’enlève rien à leur talent. Tous les livres ne partent pas à chance égale, et la sélection du temps reste drastique. Si bien que tout considéré, entre ce qui a irrémédiablement vieilli et le haut du panier, il peut rester des œuvres d’une grande qualité.

Comment choisissez-vous les titres de la collection ?

C’est l’objet d’un travail depuis 3 ans. Indépendamment des préfaciers, trois lecteurs ont été mis à contribution. Ils se sont attelés à toute une littérature du XIXe et XXe siècle, dont beaucoup de titres, finalement, avaient mal vieilli : trop régionalistes, sentimentaux ou d’esprit colonial…  La plupart des retours n’étaient pas en faveur d’une réédition. Ici, « le roman n’est qu’un prétexte au message de l’auteur, chaque personnage est un prête-nom au service d’une idée, sans profondeur psychologique ». Là, le lecteur avoue que la misogynie brutale du héros le laisse perplexe (« Bel Ami est un agneau à côté »), faute d’être parfois mise à distance ou tournée en dérision. C’est un travail plutôt ingrat. Alors quand on lit, à propos d’un récit de voyage, « c’est autre chose qu’une robinsonnade. L’érudition n’est jamais pesante ou fanfaronne, elle prend des tours malicieux tout en apportant une vraie épaisseur au texte », on fonce ! La réédition du Voyage aux îles Galapagos est partie de là…

Il n’y a pas de ligne éditoriale autre que le plaisir de lecture et l’écriture. Une odyssée belge teintée de surréalisme côtoie un roman épistolaire du XIXe siècle. Les suivants seront peut-être une dystopie et un roman haïtien…

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