[INTERVIEW] Thomas Gunzig : "Dans l’écriture, une bonne part de l’affaire relève de l’intuition"

Le survivalisme, ce courant de pensée catastrophiste, souvent teinté d’idées discutables idéologiquement, sur la nécessité absolue de se préparer à la catastrophe climatique qui nous guette, vous connaissez ? Les héros du dernier roman de l’écrivain Thomas Gunzig, oui ! Ils se sont préparés à tout. Ils sont riches, ils n’ont à se soucier de rien. Du tout. Ou presque...

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[INTERVIEW]  Thomas Gunzig : "Dans l’écriture, une bonne part de l’affaire relève de l’intuition"

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13/11/2023
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Le survivalisme, ce courant de pensée catastrophiste, souvent teinté d’idées discutables idéologiquement, sur la nécessité absolue de se préparer à la catastrophe climatique qui nous guette, vous connaissez ? Les héros du dernier roman de l’écrivain Thomas Gunzig, oui ! Ils se sont préparés à tout. Ils sont riches, ils n’ont à se soucier de rien. Du tout. Leur retraite quand le monde s’effondre n’a rien d’une hutte bricolée en branches avec un couteau façon Rambo. Non, ils se sont abrités dans une villa de luxe où tout est à portée de main… Mais le luxe peut-il résister à la fin du monde, c’est une question qui a le mérite d’être posée. La santé mentale, les liens familiaux, les sentiments prennent également une drôle de tonalité lorsque tout s’effondre, pour notre plus grand amusement, et celui de Thomas Gunzig, qui semble s’être bien amusé à l’écriture de ce roman.  

© Corentin Van Den Branden


Qu’est-ce qui vous a inspiré ce roman de survivalisme chez les riches ? 

C’est toujours compliqué de faire l’archéologie d’une idée. Je crois que j’ai lu un article dans lequel on parlait de ces milliardaires de la Silicon Valley, très angoissés à l’idée de la fin du monde et qui confient à des agences spécialisées le soins de leur préparer des abris… Luxueux, évidemment.

Je ne savais pas trop quoi faire avec cette information, mais il y avait là-dedans quelque chose qui m’intéressait. Peut-être parce que j’ai toujours aimé les récits de fin du monde. Peut-être parce que j’ai toujours aimé les récits familiaux. Peut-être parce que je suis fasciné par la manière dont l’argent transforme les gens ou la façon dont les gens se comportent dans des situations extraordinaires.

En outre, c’était l’occasion d’imaginer un récit de fin du monde différent de ce que je connaissais, je veux dire que jusqu’ici, dans ce que j’avais pu lire ou voir sur le sujet (Mad Max, The Road pour parler des plus célèbres), l’univers postapocalyptique est toujours vu comme un univers dans lequel les conditions matérielles de la survie ne sont pas remplies, la vie y est dure, les ressources sont rares. Avec ces refuges pour milliardaires, comme celui dans « Rocky, dernier rivage », je pouvais imaginer un récit de fin du monde ou les conditions matérielles de la survie sont remplies. La survie ne pose pas question. Ce qui pose question c’est que fait-on lorsque on est les derniers, au sens propre, à quoi pense-t-on, qu’est-ce que cela modifie dans les comportements, dans la façon d’aborder les jours, que devient le quotidien, est-ce que cela modifie quelque chose dans les relations amoureuses ou familiales ?


Qu’est-ce qui vous donne envie de changer d’univers, d’ambiance, à chaque roman ? 

Ce n’est pas une question d’envie. Je crois que c’est comme cela que je fonctionne. J’aime les idées. Une idée, c’est quelque chose qui surprend, qui étonne, qui excite l’imaginaire. C’est quelque chose qui donne envie d’être fouillée, explorée. Une nouvelle idée me rappel mon enchantement lorsqu’enfant je recevais un nouveau jouet. Je serais incapable d’être un auteur dont les histoires se déroulent plus ou moins toujours dans le même milieu ou avec le même décor tout simplement parce que je m’ennuierais à mourir. 


Qu’est-ce qui déclenche le processus créatif, chez vous ? À quel moment choisissez-vous la thématique, mais aussi l’univers de votre prochain livre ? 

Comme je l’ai dit, je ne fonctionne pas vraiment par thématique, mais par idée. Je chercher une situation, un personnage particulier à qui il arrive quelque chose de particulier dans une situation particulière. L’idée va définir l’univers, je vais travailler longtemps de manière à essayer d’en tirer le meilleur parce que je sais qu’une bonne idée est quelque chose de rare qu’on ne peut pas se permettre de gâcher en allant trop vite. Quand à la thématique, je n’en ai jamais. J’ai l’impression qu’il est dangereux de travailler avec une thématique en tête. Ça va gâcher l’idée en l’enfermant dans des limites théoriques. L’idée ne doit pas seulement être bonne, elle doit être libre pour donner son meilleur jus. Après ça, évidemment, lorsque le livre est écrit, on peut toujours dégager l’une ou l’autre thématique. Des axes qui apparaissent parce qu’ils sont nécessairement quelque part dans ma tête. Mais je les découvre comme le font les lecteurs et les lectrices c’est à dire quand le récit est terminé.


Comment avez-vous construit les personnages de cette famille, à la fois exceptionnelle et très « normale » ? 

En effet, j’en ai fait une famille presque normale confrontée à une situation extraordinaire. Je dis « presque" parce qu’évidemment la richesse à modifié son rapport à réel. La réalité lui apparait, au début en tout cas, comme quelque chose sur laquelle elle a le contrôle. Évidemment, la catastrophe va changer ce sentiment… Pas tout de suite, mais progressivement. Il faut, je crois, beaucoup de temps pour se défaire de ce genre de conviction. 

Mais en dehors de sa richesse qui lui donne, plus qu’à d’autre, un sentiment d’invulnérabilité (cette famille ne se sent pas véritable concernée par les menaces ou les risques globaux), elle est comme toute les familles, c’est-à-dire traversée par des circuits émotionnels très puissants dans lesquelles se croisent de l’amour évidemment, mais aussi de la frustration, de la colère et beaucoup d’autres choses. Je l’ai élaborée très simplement, comme je le fais à chaque fois avec mes personnages, c’est-à-dire en essayant de les comprendre le mieux possible, de les « sentir » vivre et penser au fond de moi. Il n’est pas question de les haïr ou de les mépriser ou de les aimer, mais de rentrer en empathie avec eux afin que les pensées et les comportements que je leur prête résonnent au plus juste.


Comment travaillez-vous, soignez-vous les détails qui rendent uniques l’ambiance de vos romans, et particulièrement caustiques sans jamais être lourde ? 

Je ne sais pas vraiment. Je crois que dans l’écriture une bonne part de l’affaire relève de l’intuition. J’essaye constamment de me mettre à la place de mon lecteur ou de ma lectrice. Je me demande si l’histoire est claire, si la réalité des lieux, des personnages, des intentions est suffisamment solide, j’entends par là si mon lecteur ou ma lectrice ont froid, faim, peur comme mes personnages. S’ils voient, sentent, la réalité du roman comme une véritable réalité qui vient, le temps de la lecture, s’imposer à eux. Il faut des détails, mais pas trop. Il faut parfois être allusif, mais pas trop non plus. Il faut des images, mais de manières équilibrées et des métaphores, parfois, à condition qu’elles fonctionnent parfaitement.


La réalité que vous dépeignez, pensez-vous qu’elle finira par se produire ? 

Je n’en ai aucune idée. Les conditions d’incertitudes de notre présent sont telles que personne ne peut véritablement dire où en sera l’humanité dans 5, 10 ou 20 ans. Ce qui est évident c’est que pour la première fois depuis la révolution industrielle, nous perdons le contrôle sur la nature. Nous avons cru pendant un siècle pouvoir domestiquer les écosystèmes, arranger le monde à notre façon. Nous nous sommes comportés comme des propriétaires du monde, mais ce n’était qu’une illusion. L’avenir sera peut-être dramatique pour tous, ou seulement pour certains ou pour personne… Mais aujourd’hui, je suis malgré tout plutôt pessimiste.

Rocky, dernier rivage. Thomas Gunzig. Editions Au Diable Vauvert

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