[INTERVIEW] Stéphanie Garzanti : "C'est le processus même d’écriture qui me fait écrire"

C’est un livre, mais ça n’est pas un roman. Ni de la poésie, ni des nouvelles, ni un journal.

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[INTERVIEW] Stéphanie Garzanti : "C'est le processus même d’écriture qui me fait écrire"
Tara Lennart

Tara Lennart

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24/4/2023
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C’est un livre, mais ça n’est pas un roman. Ni de la poésie, ni des nouvelles, ni un journal.  C’est un livre qui utilise les mots comme une matière plastique, modulable et modelable. Expérimentale et poétique, l’écriture de l’artiste Stéphanie Garzanti échappe aux codes et aux cadres sans pour autant se perdre dans l’abstraction. Il y a de l’auto-fiction, de l’humour, des souvenirs d’enfance, des réflexions, des étapes de construction, des observations sociologiques, des allusions à des oeuvres littéraires majeures dans ces courts chapitres. Bref, il y a beaucoup de fragments de vie dans ce premier texte littéraire vivant, bruissant, et prometteur (qui démontre que l’on peut aimer Dalida ET Monique Wittig)

Ce livre, le définiriez-vous comme un journal militant ? Un texte d’auto fiction ? Un regard sur une trajectoire ?
Un peu tout cela à la fois, c’est un recueil de textes dans lesquels plusieurs genres se croisent sans se limiter à une seule forme. L’ensemble est traversé par un questionnement sur l’écriture, dans un esprit de recherche et d’invention mais aussi construit à partir d’emprunts, de citations, qui laisse une part importante aux références littéraires, artistiques… Si j’évoque des souvenirs d’enfance et d’adolescence, si je décris des moments plus actuels, si je tente de développer une écriture canine, si je déclare mon amour, si je projette des fantasmes, à chaque fois je cherche en rédigeant la manière, la forme, la façon d’écrire qui conviendra le mieux pour dire, raconter.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre travail de dessin et création d’images ?

Je développe depuis quelques années une série de dessins dans laquelle j’apparie des images tirées de l’Histoire de l’art ou de la culture populaire à des slogans politiques prélevés dans l’espace publique. J’opère un choix et un montage d’image et de texte que je reproduis fidèlement avec des outils ordinaires (crayons, feutres…). Les sens de l’image et du texte se trouvent renouvelés par ce télescopage et l’ensemble ainsi contribue modestement à une forme de relecture plus égalitaire de l’histoire des images.

Y a-t-il des liens, des processus similaires entre l’écriture et le dessin, pour vous ?

Pour moi, ce sont deux pratiques dissociées dans la mesure où j’ai commencé ma pratique du dessin avant ma pratique de l’écriture, et que mes productions dans chacun de ces domaines sont distincts. Ma pratique de l’écriture me parait plus libre et intuitive que ma pratique du dessin. Pour cette série de dessins évoquée plus haut, j’ai établi une sorte de protocole (souple, puisque par exemple, j’initie de plus en plus de collaborations qui m’amènent sur des terrains où je ne serais pas allée toute seule et qui remettent en cause parfois l’ordre des choses), ce qui signifie que quand je commence à dessiner, je sais ce que je vais dessiner, les décisions se prennent en amont, et au moment de dessiner je suis plutôt du côté de l’exécution, avec beaucoup de plaisir sensoriel bien-sûr ! Quand je me mets à écrire, c’est différent, même si j’aime bien écrire à partir de « contraintes » (une partie des textes de Petit nature a été écrite dans l’atelier d’écriture d’Émilie Notéris How to SupPRESS University Writing), je ne sais pas ce que je vais écrire, je n’ai pas de plan à suivre, c’est plus instinctif, je dirais même que c’est ce que j’écris qui me fait écrire, le processus même d’écriture me fait écrire. Il y a par contre des rencontres entre les deux bien-sûr : quand, dans un dessin,  je représente une autrice (la Gertrude Stein de Picasso), ou quand je décris, dans Petite nature, une œuvre, une exposition, ou un de mes dessins. Et puis dans les deux pratiques je puise chez les autres, ça c’est un point commun.



Jusqu’à la publication de Petite nature, j’avais l’impression d’un inversement étrange comme si mon travail n’était pas à la « bonne » place : j’avais publié un dessin dans une revue, j’avais lu mes textes dans des centres d’arts, exposé des affiches issues de mes dessins dans des librairies… Maintenant ça rentre un peu dans l’ordre ! Mais cela demeure un brouillage assez satisfaisant finalement ! Circuler dans les interstices, rester un peu décalée, se maintenir mobile dans et autour des spectres.



Voyez-vous la vie et ses incidents, déroulés, moments, comme un matériau où puiser de l’inspiration ?

Pour le dire simplement On fait avec ce qu’on a, pour essayer de l’expliquer, je dirais que le travail se base sur des souvenirs, des références, des rêves, de l’imagination… Je ne vois pas vraiment comment on pourrait s’extraire ce qui nous constitue et pourquoi il le faudrait pour écrire ou pour créer. Après, chaque personne choisi la distance qu’iel veut mettre entre l’intime et le travail…

Quelles sont vos inspirations, vos artistes phare ?

À la fin de mon livre, on peut trouver une liste des influences qui ne sont pas directement citées dans les textes de Petite nature, mais qui sont sous-jacentes, cela permet d’élargir les lectures. Bien-sûr que ce que je lis, vois… peut orienter mon travail. Mais je crois aussi que ce qui fait avancer réellement ce sont les discussions, les échanges, les rencontres, de participer aussi à l’atelier d’écriture d’Elena, au groupe d’écriture en ligne initié par Adèle et Lou, de parler crayons avec Cécile, de lire les premières versions des projets littéraires de Louise ou de Stéphanie, de regarder les films de Laurence ou d’Elsa, d’échanger parfois de simples messages par les réseaux avec d’autres personnes qui font… Pendant des années, j’ai été isolé, et ça, ça ne fonctionne pas pour moi. Cela peut paraitre un peu évident comme réponse mais voilà, trouver des personnes avec qui parler de ce qu’on fait, être bien entourée c’est ça aussi ce qui fait progresser le travail, les groupes, les équipes, les collectifs…

Petite Nature. Stéphanie Garzanti. Editions Cambourakis

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