[INTERVIEW] Shaun Hutson : "Lire mes livres, c'est aller à un concert de metal"

Si vous n’avez pas l’habitude de lire des romans d’horreur, vous ne connaissez peut-être pas Shaun Hutson, ce genre de type qui s’inspire comme on respire, écrit comme on boit de l’eau, fait surgir l’horreur au coin de la rue en un battement de cil

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[INTERVIEW] Shaun Hutson : "Lire mes livres, c'est aller à un concert de metal"

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20/8/2025
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Si vous n’avez pas l’habitude de lire des romans d’horreur, vous ne connaissez peut-être pas Shaun Hutson, ce genre de type qui s’inspire comme on respire, écrit comme on boit de l’eau, fait surgir l’horreur au coin de la rue en un battement de cil. Avec 28 romans au compteur, cet écrivain britannique au profil bien éloigné de St Germain des Prés, et tant mieux, n’y va pas par quatre chemins pour nous embarquer dans des mondes poisseux, sanglants, surréalistes et terriblement addictifs. Dans pop culture, il y a culture, et Shaun Hutson, publié par les excellentes éditions Faute de Frappe, entend bien nous le rappeler. 

Vous écrivez surtout des histoires d’horreur et de gore. D’où vous vient cette passion pour le genre ?

J’ai toujours été fan d’horreur, depuis gamin. À la télé britannique, chaque vendredi soir, on passait les classiques Universal comme Frankenstein, Dracula, La Momie (Le Loup-garou de Londres m’a terrifié). Ma récompense, c’était de pouvoir veiller pour les regarder. Ma mère adorait les films d’horreur aussi — elle a dû influencer mes goûts. Ils diffusaient aussi les productions Hammer comme Le Cauchemar de Frankenstein ou Le Cauchemar de Dracula, qui ont énormément marqué mon écriture. Hammer avait un style reconnaissable entre mille, malgré les petits budgets. C’était classe. Et ça faisait flipper.

Une autre influence majeure : la série Chapeau melon et bottes de cuir. Certains épisodes flirtent avec l’horreur. Je pense que le personnage d’Emma Peel (jouée par la sublime Diana Rigg) m’a appris à écrire des femmes fortes dans mes romans. Enfant, je collectionnais aussi des magazines comme Famous Monsters of Filmland et des comics d’horreur (Eerie, Creepy). J’adorais cet échappatoire que l’horreur offrait, même si mes propres romans ont souvent un pied dans la réalité. Mais l’évasion est cruciale. L’horreur permet de vivre des fantasmes, de traverser les pires cauchemars sans culpabilité.

Plus tard, j’ai découvert les Pan Books of Horror Stories (des anthologies qui ont marqué toute ma génération). Puis je suis passé à des romans « adultes » comme L’Exorciste (toujours mon préféré). Ma passion pour le genre est intacte. La différence, c’est que maintenant, je peux la partager en écrivant des livres qui la transmettent… et qui, avec un peu de chance, collent la trouille aux lecteurs.

Vous êtes un écrivain très prolifique : qu’est-ce qui déclenche l’idée d’un nouveau livre ?

Les idées de livres peuvent venir de n’importe où. Au début, elles venaient de la réalité. Par exemple :

  • Spawn est inspiré d’un employé d’hôpital allemand qui enterrait les fœtus avortés au lieu de les incinérer. J’ai poussé l’idée : Et s’ils revenaient à la vie ?
  • La maladie dans Erebus (la porphyrie) provoque une carence en fer, avec des symptômes dignes de vampires : peau pâle, photosensibilité, aversion pour l’ail… J’ai lu ça dans un journal médical et me suis demandé si c’était à l’origine du mythe.

Beaucoup de mes livres ont un ancrage réel. Ça les rend plus effrayants. Les idées me frappent n’importe quand. Avant, je les notais sur des tickets, des serviettes en papier… Parfois, c’est un sujet ou un personnage qui déclenche tout. Une amie pole-danseuse (et magnifique, ça aide) m’a inspiré des personnages. Si j’ai des convictions fortes, je les prête à mes protagonistes. Écrire est cathartique pour moi. Un lecteur m’a dit : « J’adore tes livres, mais je ne voudrais pas être dans ta tête. » Il avait raison. Certaines idées ne tiennent pas sur la longueur — je les recycle en nouvelles (Incisons Cut One et Cut Two). Mes premiers livres étaient très axés intrigue ; aujourd’hui, je privilégie les personnages… tout en revenant à des plots plus solides récemment. L’essentiel, c’est de divertir. Si les lecteurs paient, c’est le minimum.

Qu’est-ce qui inspire ces histoires, et comment vous y prenez-vous pour les écrire ?

Ma méthode a changé. Avant, je planifiais tout dans les moindres détails. Maintenant, j’écris à l’instinct. Je lance une idée et je décris ce que je « vois », comme un film dans ma tête. Je ne sais pas toujours ce qui va se passer. C’est comme assembler un puzzle — ou monter un film. Je ne rédige pas dans l’ordre, puis je remets tout en place au montage. Je suis plus méthodique qu’avant, mais la passion est toujours là. Juste un peu plus contrôlée… vu que je suis un putain de vieux maintenant.

Quels conseils donneriez-vous pour créer des récits d’horreur à la fois crédibles et déjantés ?

Je déteste donner des conseils. Avoir publié 70 livres ne me rend pas expert. Ce qui marche pour un auteur ne marche pas pour un autre. Sur les réseaux, je vois des écrivains demander de l’aide… Sérieux, ressaisissez-vous. L’écriture, c’est solitaire. Vous créez vos problèmes, vous les résolvez. Mon seul conseil : N’ÉCOUTEZ PERSONNE. Surtout pas votre famille ou vos amis (sauf s’ils bossent dans l’édition). Faites confiance à votre jugement. Si ça plaît, tant mieux. Sinon… qu’ils aillent se faire foutre. Il n’y a pas de recette magique. Écrivez ce que vous aimeriez lire. Ce qui vous émeut. Sans vous prendre au sérieux. Vous n’êtes pas en train de guérir le cancer. Cette mentalité m’a mis à l’écart des autres auteurs britanniques depuis 40 ans. Je m’en fous. Les lecteurs sont les seuls qui comptent.

Vous êtes fan de metal : en quoi ce genre influence-t-il votre écriture ?

Je suis un fan de heavy metal, oui. Dans les années 80 (où j’ai percé), le rock dominait. Un journaliste de Penthouse a écrit : « Hutson a le look et le marketing d’une rockstar. » Je portais des jeans, des t-shirts de groupes, des vestes en cuir… Iron Maiden m’a invité en tournée — une expérience incroyable. J’ai même monté sur scène avec eux 13 fois (dont un concert à Paris devant 20 000 personnes en 1988). J’ai aussi écrit des nouvelles pour Kerrang!, Metal Hammer… Grâce à ces contacts, j’ai eu des backstages pour des concerts. En Angleterre, c’est « Qui tu connais », pas « Ce que tu sais ». Pour moi, lire un de mes livres, c’est comme un concert de metal : on se prend un coup de barre de fer dans la tête. Mais c’est fun. J’utilise des paroles de chansons dans mes romans (Assassin met en scène un tueur qui écoute du rock en travaillant). Le metal, c’est puissant, sans compromis — comme ce que je veux faire avec mon écriture. Il y a un lien évident entre horreur et metal (Black Sabbath tire son nom d’un film d’horreur). Les fans des deux genres sont loyaux et rebelles. Ils s’en foutent des modes. Et les deux industries les méprisent… tout en profitant de leur succès.  J’adore ce genre. Ses fans. Leur fidélité. J’ai eu une sacrée chance de durer si longtemps. Et je compte bien continuer. Personne ne me virera de sitôt.

Vous animez aussi des ateliers en prison : à quoi ressemblent ces sessions ?

Juste à des discussions avec des détenus (dans des établissements de haute sécurité dans les années 90). Les questions étaient… intéressantes. Parler violence avec un type condamné pour coups et blessures, ça fait réfléchir. J’ai reçu une menace de mort une fois : un ancien détenu était persuadé que ce que j’avais décrit dans Captives lui était arrivé. Impossible de le raisonner. Le jour d’une séance de dédicaces à Londres, j’ai dû engager des gardes (les gars de Iron Maiden, pour rester dans le thème). Rien ne s’est passé, mais comme on dit : « Aucune publicité n’est mauvaise. »

Slugs. Shaun Hutson. Traduit de l'anglais par Thomas Bauduret. Editions Faute de Frappe

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