[INTERVIEW] Lukas Cabala : "Qui a besoin de logique quand une phrase est charmante ?"

Cette année, les auteurs et autrices nominé·e·s pour l’EUPL 2025 (Prix de Littérature de l’Union Européenne) s’invitent d’une manière inédite dans Bookalicious. Entretien avec l'écrivain slovaque Lukás Cabala.

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[INTERVIEW] Lukas Cabala : "Qui a besoin de logique quand une phrase est charmante ?"

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28/5/2025
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7 min
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Cette année, les auteurs et autrices nominé·e·s pour l’EUPL 2025 (Prix de Littérature de l’Union Européenne) s’invitent d’une manière inédite dans Bookalicious. Si nous n’avons pas eu la chance (encore) de pouvoir les lire dans notre langue, nous pouvons découvrir leurs univers grâce à une plongée dans leurs techniques d’écriture et leurs inspirations. L’écrivain slovaque Lukás Cabala, également gérant d’une librairie d’occasion, est l’auteur de trois romans et de plusieurs livres pour enfants. Echange autour de son roman sélectionné cette année pour le prix.

Quand vous développez une nouvelle histoire, vous penchez-vous en premier lieu sur le thème ou les personnages ?
Le thème. Ensuite, je réfléchis à travers quel personnage cette histoire peut être racontée. Qui sera le porteur des événements, et peut-être qui pourra être sa Chloé ou sa Nadja, si on veut.

Comment abordez-vous la construction du récit ? Pourriez-vous nous expliquer votre processus en termes de structure et de développement des personnages ?
Ça dépend d'un livre à l'autre. Mais j’adore surtout être le premier lecteur de mon propre roman. Je suis curieux de savoir ce qui va arriver, ce qui sera écrit à la page suivante. Je peux avoir un plan, mais généralement, ce plan est balayé par l'écriture spontanée et l'évolution des personnages. Oui, les personnages peuvent me surprendre et voler la vedette. Mais pour mon dernier roman, j’avais un plan et je m'y suis tenu jusqu'au bout. C’était une écriture réaliste — c’est peut-être pour ça que j’ai pu garder la structure initiale.

À quoi ressemble votre routine de travail habituelle ? Cette méthode a-t-elle évolué avec le temps ou vous est-elle venue naturellement ?
Je suis un bourreau de travail — sans en être fier. Je travaille 7 jours sur 7 dans notre librairie en ligne de livres d'occasion, et ensuite j’écris. Je ne me demande pas pourquoi je me sens épuisé — c’est évident, non ? Quand je travaille sur un roman ou des nouvelles, j’écris généralement le soir jusqu’à minuit. Bien sûr, j’ai ensuite beaucoup de mal à m’endormir, parce que mon esprit est encore en mode écriture. C’est dur de l’éteindre. Je suis prêt à mourir jeune. Je plaisante. Enfin…

Les éléments visuels jouent un rôle important dans vos romans, souvent accompagnés d’illustrations. Qu’est-ce qui vous attire dans cette approche ?
Vous savez, ce n’était jamais mon intention. C’est venu naturellement. Pendant que j’écrivais un roman, je voyais des illustrations dans ma tête — imaginaires, bien sûr. Mais des illustrations très particulières. Et ce dont je suis le plus fier… c’est que lorsque j’ai contacté un illustrateur — trois artistes talentueux en tout — ils ont lu mon manuscrit et ont tous accepté de collaborer. Ils étaient reconnus pour leur beau travail et n’avaient pas de temps à perdre. J’adore que mes trois premiers romans aient cette touche artistique. Et je suis ravi que mon éditeur soit toujours d’accord avec mes idées.

Vous écrivez aussi pour les enfants. En quoi votre approche diffère-t-elle lorsque vous travaillez sur un livre pour enfants par rapport à un roman pour adultes ?
Il n’y a pas une grande différence. Peut-être que je peux être plus fou et débridé dans les contes — les enfants adorent ça. Mais pour moi, c’est vraiment la même chose. Il faut livrer une bonne histoire, que ce soit pour les adultes ou les enfants. Je veux leur faire découvrir le plaisir de lire.

La ville de Trenčín occupe une place centrale dans votre œuvre. Comment en est-elle venue à jouer un rôle si important dans vos récits ?
C’est très simple — je suis né là-bas et j’y vis encore aujourd’hui. Donc, dans mes livres, j’essaie d’explorer et aussi de transformer la ville, parce que Trenčín est trop petite et peut devenir vraiment ennuyeuse après tant d’années. C’est pour ça que, dans mes romans, Trenčín est aussi grande que New York ou Tokyo. Et quand l’obscurité ou le brouillard arrive, c’est facile d’imaginer des gratte-ciel derrière ces murs mystiques.

Quel est le meilleur conseil d’écriture que vous ayez jamais reçu ?
Je pense au conseil classique : Montrez, ne racontez pas. Mais… j’ai eu des éditeurs exigeants avant même de commencer à publier — et surtout l’une d’elles, mon amie Michaela Rosová — une autrice slovaque connue (oui, je name-drop) — elle m’a donné mille conseils et notes au fil des ans, ce qui m’a énormément aidé.

Et à l’inverse — quel est le pire conseil d’écriture qu’on vous ait donné ?
Peut-être : Supprimez ça ! Je plaisante — je ne sais pas. Mais tous les éditeurs ne sont pas familiers avec le réalisme magique ou la poésie magique, et ils peuvent essayer de vous faire réécrire une phrase magique ou poétique parce qu’ils n’y voient pas de logique. Mais qui a besoin de logique quand une phrase est charmante ?

***

Retrouvez l'entretien en anglais !

When you're developing a new story, what usually comes to you first — the theme or the characters?

The theme. And then I think through which character can tell that story. Who will be the holder of the goings-on and maybe who can be his Chloé or Nadja, so to speak.

How do you go about shaping the narrative? Could you walk us through your process in terms of structure and character development?

It depends from book to book. But I especially love to be the first reader of my own novel. I’m curious what will happen, what will be written on the next page. I can have some plan, but usually this plan gets blown away by spontaneous writing and the development of the characters. Yes, characters can surprise me, and they can steal the show. But in my last novel, I had a plan and I stuck to it until the very end. It was realistic writing — maybe that’s why I could hold on to the initial structure.

What does your typical working routine look like? Has this method evolved over time, or did it come to you naturally?

I’m a workaholic — not a proud one. So I work 7 days a week in our online bookshop with used books, and then I write. I’m not asking myself why I feel like a wreck — it’s obvious, right? When I’m working on a novel or short stories, I usually write in the evening until midnight. Of course, I have big trouble falling asleep after that, because my mind is still in writing mode. It’s hard to switch it off. I’m prepared to die young. Just kidding. But…

Visual elements play a significant role in your novels, which are often accompanied by illustrations. What draws you to this approach, and what do you feel visuals add to the reading experience?

You know, it was never my intention. It just came naturally. While I was writing a novel, I saw illustrations in my mind — I mean imaginary ones. But very particular illustrations. And one thing that I’m most proud of is… when I approached an illustrator — each of those three talented people — they read my manuscript and they all agreed to collaborate. They weren’t unknown artists — they were well-known for their beautiful work and didn’t have much time for joking around. I love that my first three novels have this fine-art touch. And I’m glad my publisher always agrees with my ideas.

You also write for children. How does your approach differ when you're working on a children's book versus a novel for adults?

There’s not a big difference. Maybe I can be more crazy and wild in fairy tales — children love that. But for me, it’s really the same thing. You have to deliver a good story for adult readers just like for kids. I want to show both the joy of reading.

The city of Trenčín features prominently in your work. How did it come to hold such a central place in your storytelling?

It’s very simple — I was born there and I’ve been living there to this day. So in my books, I try to explore and also change the city, because Trenčín is too small and can be really boring after so many years. That’s why in my novels, Trenčín is as big as New York or Tokyo. And when the dark or fog comes, it’s pretty easy to imagine skyscrapers behind those mystical walls.

What’s the best piece of writing advice you’ve ever received?

I think the classic advice: Show, don’t tell. But… I had a few strong editors even before I started publishing — and especially one of them, my close friend Michaela Rosová — a well-known female writer in Slovakia (yes, name-dropping here) — She gave me a thousand pieces of advice and notes through the years, which helped me a lot.

And on the flip side — what’s the worst piece of writing advice you’ve been given?

Maybe: Cut it out! Just kidding — I don’t know. But not every editor is familiar with magic realism or poetic magic, and they can try to make you rewrite some magical or poetic sentence because they don’t see the logic in it. But who needs logic when the sentence is charming?

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