[INTERVIEW] Louis-Stéphane Ulysse : Charles Trénet, Chantal Goya et les Cramps

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[INTERVIEW] Louis-Stéphane Ulysse : Charles Trénet, Chantal Goya et les Cramps

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16/7/2015
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Après le reportage sur Le Serpent à Plumes et la chronique de Médium les Jours de Pluie, BooKalicious continue son exploration rock et littéraire du mon de Louis-Stéphane Ulysse et de son très bon et beau nouveau roman. Nous avons gardé le meilleur pour la fin : son interview!

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Votre premier roman était sombre et glauque, le dernier est lumineux et touchant. Votre état d’esprit se retrouve-t-il dans vos écrits ?

Oui, pas forcément là où on croit l’avoir placé, mais inconsciemment on laisse forcément passer des trucs… Mais on peut le dire de n’importe quelle personne qui essaye d’écrire, qu’il s’agisse de fiction ou non. L’écriture, c’est un peu le combat des deux mains de Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur avec « haine » et « amour », « fiction » et « réalité »... Ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas, et ce qui finît par l’être. Il y a sûrement une part personnelle plus évidente dans Médium. En tout cas, quand j’ai commencé à corriger le texte, j’avais du mal à me relire parce qu’il y avait le sentiment d’être présent trop en « vrai », mais en même temps je devais l’assumer parce que ça apportait aussi du sens au texte. Il y a une phrase de Selby que j’aime bien : « Il ne s’agît pas de chercher les ténèbres, il faut trouver la lumière aussi. »

Comment définiriez-vous cette histoire de médium et de rock star ?

Très basiquement, c’est l’histoire de quelqu’un d’une cinquantaine d’années qui écrit et qui interroge l’histoire d’un couple qui n’existe plus, pour trouver des réponses à l’histoire de son propre couple qui ne va plus exister. Je ne crois pas que Lux Interior se soit jamais envisagé comme une rock star. C’est plus un quelqu’un d’intègre qui va jusqu’au bout - jusqu’à l’épuisement - de l’univers qu’il s’est construit pour se protéger d’un monde réel dans lequel il ne trouve pas sa place, ou dans lequel il n’a pas envie de trouver sa place. Et Ivy, par amour, rentre dans le jeu. C’est Bonnie and Clyde ou le couple de Gun crazy en plus positif, mais c’est le même refus de se laisser dicter sa vie par les autres. Ils luttent contre le monde réel avec leur imaginaire et leur innocence, en refusant, en apparence en tout cas, de passer par la case « cérébrale». Ils essayent de redistribuer les cartes à leur façon, pour « enchanter » le réel, pour le meilleur, là où des personnages du roman, comme Schaltzner ou Muhulu, le font pour le pire... Mais, dans les deux cas, la démarche part du même endroit.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire à partir de personnes célèbres et iconiques ?

Un matin, je me suis juste réveillé avec le You got good taste des Cramps, en tête. Ça ressemblait à un cri de guerre joyeux. J’étais en pleine promo de mon précédent roman, Harold, et ça ne se passait pas bien... J’avais vu les Cramps au début des années 80 et j’étais passé à autre chose, au point d’être très loin de cet univers là... Sans prévenir, cette chanson est devenue une sorte d’antidote à un quotidien pas très cool. J’ai été regarder sur Youtube pour voir le groupe mais vraiment « comme ça », juste pour me rappeler à quoi ça pouvait ressembler, exactement comme quelqu’un qui va voir Chantal Goya et ses lapins roses avec des Bécassines, rien d’autre. Presque 30 ans étaient passés, les Cramps avaient changé et mon regard sur eux avait changé aussi. C’est cette modification de perception, ce temps passé sans m’en apercevoir, qui m’ont troublé et intrigué, avec tous les « pourquoi », les « comment »... Mais je suis rentré dans l’univers des Cramps sans vraiment chercher à le faire. Je n’avais pas cherché un rapport particulier à la célébrité, puisque je venais de le faire avec Hitchcock et Tippi Hedren dans Harold.

La musique est omniprésente dans ce roman, écrivez-vous en écoutant de la musique ?

Quand j’écris, j’ai besoin de me faire ma propre musique dans ma tête. Je ne pense pas à l’écriture, puisque elle est déjà « naturellement » là comme outil, c’est un peu ma voie ferrée. Ce qui va compter c’est le convoi, avec sa motrice et l’ordre des wagons derrière, et tout ça doit bouger dans un certain sens, avec un paysage autour. Donc c’est avant tout une ligne rythmique avec la mélodie qui en découle d’un côté, et les couleurs, les lumières, les espaces de l’autre.

Quel était le premier concert qui vous a marqué ?

Là, je dirais Charles Trenet tout en sachant que je dirais peut-être un autre nom demain ou dans un mois… Je devais avoir 8 ou 9 ans et ma mère m’y avait traînée de force. J’avais le sentiment de voir un truc de gens très vieux, comme des goûters obligés chez une vieille dame de la famille qu’on ne connaît pas bien, avec des biscuits pas très frais sorties d’une vieille boite en fer... Vraiment, un truc engoncé et étouffant... Après le concert, ma mère m’a emmené dans la loge de Trenet, et là c’était terrifiant... J’ai le souvenir d’un géant avec des cheveux de feu et des yeux de porcelaine... J’ai redécouvert Trenet, ou plutôt je l’ai vraiment découvert au début des années 2000, et aujourd’hui je considère sa musique comme un médicament.

Le dernier ?

Je vis au fond de la Laconie, juste au dessus de la Crête. Lorsque je suis arrivé dans mon village, c’était durant les fêtes religieuses d’août qui sont très importantes pour les Grecs. Il y a un repas auquel participe tout le village, avec un orchestre qui commence en début de soirée et s’arrête vers 5 heures du matin. Tout le monde danse et doit rentrer dans le cercle à un moment ou un autre ; il y a un mouchoir qui se passe, se transmet, et il n’y a à cet instant plus de notion de catégories sociales, de vieux ou de jeunes, l’identité se place ailleurs, et ça donne un résultat assez bouleversant quand on n’est pas habitué. C’était sans doute renforcé par le contexte de crise... Je suis resté une partie de la nuit complètement scotché par les rythmes de l’orchestre. Il y avait tout ce mélange - Turc, Arabe, Klezmer, Italie du sud -, j’étais seul, loin de tout, ne comprenant pas un mot de quoi que ce soit, mais je me sentais vraiment chez moi ou plus exactement « en moi ».

Pensez-vous que, comme le clamait Manson à la fin des années 90, le rock soit mort ?

Généralement les gens qui annoncent ce genre de trucs, n’annoncent rien d’autre que leur propre mort. La forme se démode, laisse place à d’autres formes qui reviennent vers la forme initiale en la nourrissant, mais le fond est globalement le même depuis le début, en gros : « qu’est ce qu’on fait là, pourquoi et comment. » L’appellation « rock » est une définition qui vient des grosses radios « FM » dans les années 80, c’est une donnée commerciale, rien d’autre ; pour moi Kurt Weill est plus rock que Téléphone ; c’est le mot « musique » qui compte : la place, la fonction qu’elle a dans nos vies. Selon George Steiner, il y a des exemples de tribus, de groupes d’individus, sans écriture, mais il n’y en a jamais eu sans musique.

Quelle est votre chanson préférée des Cramps ?

C’est difficile parce que leur musique est basée sur un système de références insoupçonnable quand on commence à les écouter. Ils ont fait tout un boulot sur la mémoire populaire dans un pays qui ne fonctionne pas vraiment comme ça. Même en Europe, le défrichage d’un Breton, ou d’un Dubuffet, paraît tout d’un coup un peu étriqué en comparaison, parce qu’il n’y a pas cette générosité, cette absence totale de calcul. A leur façon, les Cramps ont probablement changé ma vie, en tout cas ma vie a changé pendant l’écriture du roman. Je dirais quand même que, pour l’énergie, il y a donc Good taste... Je ne parle pas de l’importance musicale du morceau dans leur répertoire, juste du plaisir du moment. Et puis il y a Kizmiaz. Pour moi, c’est vraiment leur couple dans son quotidien, son essence... Je pense que ça vient plus de Poison Ivy, ce côté fantaisie féminine avec l’air de ne pas y toucher, ça n’a rien à voir avec le reste de leur répertoire et c’est la seule fois où ils chantent en duo. En gros ça parle d’un pays très lointain, probablement entre Samarkand et Bagdad. D’après la chanson, on y accède en tapis volant, en côtoyant des flamands roses et en regardant des océans fluorescents. Accessoirement, écrit autrement, la traduction de Kizmiaz serait quelque chose comme Parle à mon cul... Parle à mon cul et laisse moi dans mes rêves...

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