Sous la plume enlevée de Rim Battal, la rage et l’humour s’allient pour mieux faire face à la honte et à la violence familiale, le désir et la force s’unissent pour rappeler combien l’intime est, toujours, politique.
Méfiez-vous des arbres de Nouvelle Aquitaine. Ils peuvent dissimuler de viles pensées vengeresses et vous attendre au coin d’une librairie avec une tronçonneuse. Surtout ceux dirigés par un duo d’éditeurs aussi singulier que leurs doublés de prénoms, David Vincent et Nicolas Étienne, fondateurs de la maison qui sévit depuis le début des années 2000. Au programme ? Sous des couvertures illustrées de dessins originaux, bien souvent réalisés par des auteur·rice·s de BD, des histoires qui sortent des sentiers battus et viennent chambouler nos habitudes de lectures. Beaucoup de nouvelles, des textes drôles, absurdes, étranges, singuliers, dérangeants. Tout ce qu’on aime, encore plus dans l’édition indépendante.

Comment êtes vous devenu éditeur ?
Nous sommes avant tout un duo d’amis qui s’est constitué autour d’un goût commun pour une littérature décalée et insolente. Il s’agissait presque d’un pari au départ, une sorte de pied de nez à nos métiers respectifs (graphiste et libraire), d’où le côté très, très artisanal des premiers titres. Et puis on s’est un peu (beaucoup...) pris au jeu en bâtissant progressivement et en douceur un catalogue qui nous ressemble, aux couleurs vives et au ton mordant.
Pourquoi ce nom « L’Arbre Vengeur » ?
Parce que nous sommes tous les deux nés au cœur d’une forêt qui nous a protégés pendant notre enfance et que nous souhaitons, en adultes reconnaissants, nous venger des méfaits qu’on se permet envers elle, notamment en détruisant des arbres pour fabriquer de très mauvais livres.
Comment avez-vous défini la ligne éditoriale de votre maison et ses collections, très diverses ?
La ligne c’est notre horizon et il n’est jamais aussi net qu’on le croit, nous la définirions presque à rebours en nous retournant sur le chemin accompli. Nous sommes donc partis sans prétendre à distinguer tel ou tel type de littérature, ce qui aurait été diablement réducteur (et un rien prétentieux) Ce qui importe avant tout c’est notre rapport à l’écriture, à une forme d’exigence dans le choix des textes, qu’ils soient anciens ou récents, et l’esprit de sérieux nous agace au dernier degré, la littérature, forme d’art achevée, n’ayant besoin de rien démontrer ou dénoncer. Chaque collection illustre, par son format, son animateur ou son animatrice, sa langue d’origine, sa couleur littéraire, des aspects de notre goût pas si éclectique (un mot fourre-tout) qu’il en a l’air. Nous aimons que les textes nous surprennent et qu’ils ne correspondent pas à un air du temps, souvent peu respirable.
On raconte de tout sur les sélections de manuscrits, comment les lisez-vous ? Comment choisissez-vous vos auteurs, qu’ils soient vivants ou qu’il s’agisse de réédition ou nouvelles traductions ?
Nous en recevons bien plus que nous ne pouvons en absorber et souvent de personnes qui ont l’air d’avoir choisi de nous envoyer leurs textes pour des raisons cocasses ou incompréhensibles (« vos livres sont bien jolis… »), sans comprendre ce que nous aimons. Le choix est dans la droite ligne de notre conception éditoriale : nous cherchons à être surpris, désarçonnés, sonnés, amusés (rarement émus ou touchés, la mièvrerie ambiante n’est pas dans nos cordes). Et cela fonctionne de la même manière avec les rééditions : la masse impressionnante de livres édités depuis des siècles est comme une veste forêt où se cachent des essences rares qu’il nous revient de retrouver, ou des arbres solides mais peu ou mal regardés. Nous recevons des propositions, et aussi simple que cela paraisse, si elles coïncident avec notre état d’esprit ou notre humeur du moment, elles peuvent déboucher sur une collaboration. Pour les manuscrits il suffit parfois de lire une page pour savoir à quel projet on a affaire et s’il est pour nous (et la plupart du temps, ils coïncident assez peu, ce qui tombe bien parce qu’éditer du contemporain est franchement difficile pour une petite maison).

Comment choisissez-vous vos traducteur·rice·s ?
Les traductrices et traducteurs (désolé, on est vieux, on ne pratique pas l’écriture inclusive qui nous perturbe et qui semble aller à rebours de l’égalité qu’elle prétend promouvoir en tolérant que le féminin soit réduit à passer après un point et un masculin, preuve que celui-ci n’en finit jamais de dominer à sa manière – désolé pour la parenthèse mais en plus d’être teigneux on n’est assez peu hypocrites) sont souvent nos amis, à la tête de collections dans lesquelles il leur revient de faire des choix et de nous les soumettre, en ayant à l’esprit nos particularités : la bizarrerie, l’étrange, l’insolent, le décalé, l’inattendu...
Vous êtes basés en Nouvelle-Aquitaine, territoire dynamique sur le plan éditorial, comptez-vous beaucoup de plumes de la région ?
La Nouvelle-Aquitaine est une région grande comme ... l’Autriche, c’est donc un territoire très vaste et très contrasté, avec des zones où éditer est quasi impossible, et d’autres, comme la Gironde où semble régner une forme d’émulation et d’encouragement. Nos choix éditoriaux ne sont jamais dictés par la géographie (à la limite, si on peut éviter de croiser les auteurs dans la rue, on préfère...). Notre pays, c’est la littérature (oui, c’est un peu pompeux comme formule, on a l’air malin). Donc le côté régional nous concerne assez peu pour nous définir, même si nous jouons beaucoup le jeu avec les éditeurs de notre région.

La nouvelle et la forme courte occupent une belle place dans votre catalogue, comment est-elle reçue par les lecteur·rice·s ?
Celles et ceux qui lisent des nouvelles, genre honni par les Français à notre grand désespoir et notre honte (sans parler de notre incompréhension), entrent dans la catégorie des lecteurs exigeants, ceux et celles qu’on ne peut guère tromper tant une bonne nouvelle réclame une maîtrise, un savoir-faire que la taille d’un roman autorise à ne pas avoir tout le temps. Alors il reste encore des personnes pour aimer ça, mais pas assez pour que nous puissions en éditer autant que nous le voudrions, car, en effet, notre catalogue est très riches en nouvelles (nous venons coup sur coup d’en éditer trois, un contemporain et deux autrices oubliées).
Qu’est-ce qui vous plait le plus dans ce métier ?
Que ce n’est pas un métier ! Et de pouvoir lire tout le temps sans passer pour des oisifs...
