Qu’est-ce qu’une agence d’artistes ? Spécifiquement dans le domaine littéraire ? Plus encore spécifiquement dans le domaine de la poésie contemporaine ?
Cette année, le Prix de Littérature de l’Union Européenne a connu quelques changements, notamment au sein de son organisation. Un unique jury*, composé de 7 membres, remplace les jurys nationaux. Il n’y a plus un lauréat·e par pays, mais un·e unique, qui porte les couleurs de la diversité Européenne. Plongée dans les coulisses avec Kristine Slosberga, directrice de la succursale K. Barona des librairies Jānis Roze, à Riga, et Koukla MacLehose, présidente du jury.
Comment s’est constitué le jury de cette édition du Prix de Littérature de l’Union Européenne ?
KS : Nous avons été choisis pour représenter tous les maillons de la chaîne du livre. Nous travaillons tous et toutes à différents niveaux du cycle d’un livre : Georgi Gospodinov est au commencement en tant qu’écrivain, et je suis à la fin, en tant que libraire. Tous les autres membres du jury travaillent entre les deux, éditeur·rice·s, scouts, agent·e·s. Nous avons formé une belle équipe où il était facile de travailler ensemble. Nous avons vécu un moment fantastique autour de cette scène littéraire Européenne hautement qualitative. Il y a eu des discussions sur la manière dont le nouveau jury porterait les couleurs de la diversité littéraire Européenne, mais il n’y a aucun doute que le changement vers un jury unique s’est fait pour le meilleur (NDLR : auparavant, chaque pays participant constituait un jury qui élisait une gagnant·e). Cela nous permet d’appréhender les livres sélectionnés selon des perspectives différentes, en prenant en compte les différents aspects du cycle d’un livre.
J’ai appliqué mes propres critères au sein du jury, selon ma perspective de libraire. C’était important pour moi de chercher des livres avec une histoire forte, par exemple. C’est toujours plus facile de vendre un livre qui va accrocher les lecteur·rice·s avec une ou deux phrases. Ce n’est pas suffisant de dire « c’est bien écrit » ou « c’est un bon livre ». Je cherchais un livre qui serait intéressant et attrayant pour des lecteur·rice·s de toute l’Europe, quelque chose qui captiverait l’esprit et l’attention sans distinction de nationalité ou de différences culturelles. Mais il fallait également qu’il raconte une histoire forte et nous éveille aux merveilles autour de nous.
Vous avez travaillé sur des livres écrits dans des langues différentes, comment s’est déroulé cet aspect du travail ?
KML : On nous a envoyé des échantillons de traductions de 50 pages par livre, en anglais et en français.On nous a également fourni un synopsis détaillé des livres et un représentant est venu en personne à Paris nous présenter chaque livre en 15 minutes, et nous expliquer les raisons pour lesquelles nous devrions le sélectionner.
Quand nous nous sommes rencontré·e·s physiquement à Paris (nous avions tenu une réunion de présentation par Zoom auparavant), au moment du Festival du Livre du Paris, où le lauréat a été révélé, nous nous sommes réuni·e·s au Centre National du Livre pendant une journée entière. Nous avions bien sûr lu les 14 extraits, et nous étions ensemble pour écouter les présentations effectuées par chaque pays. Une fois la dernières présentation effectuée, nous avons passé deux heures à débattre.
Comment avez-vous élu le gagnant ? Quels étaient vos critères ?
Nous étions unanimes sur deux livres à rejeter et deux livres en lesquels nous croyions fortement. Les autres avaient une majorité de oui ou non. Nous devions dîner tous et toutes ensembles ce soir là, alors nous avons décidé d’élire le gagnant parmi nos deux favoris. Nous avons donc élu Iva Pezuashvili, écrivain Géorgien. Et les cinq finalistes, qui ont également reçu une belle récompense, ont rapidement été désigné·e·s.
Au vu de la situation actuelle en Europe, la littérature n’est-elle pas « l’arme » la plus puissante qui soit pour combattre l’ignorance ?
La littérature est une arme puissante. Quand la guerre en Ukraine a commencé, nous avions beaucoup de gens qui venaient à la librairie nous demander des conseils en littérature ukrainienne. Ils voulaient découvrir la culture ukrainienne. Un livre en particulier « Dochya », de Tamara Horikha Zernya, publié après l’occupation de 2014, a presque une portée thérapeutique dans la mesure où il décrit ce qui se met lentement en place et aboutit à la situation actuelle. Les gens peuvent expérimenter des émotions très puissantes par la littérature et acquérir une meilleure compréhension du monde. Chaque livre ouvre un nouveau monde et nous fait ressentir de l’empathie.
En bonus, la note concernant le livre d’Iva Pezuashvili, qui a donc remporté l’édition 2022 de l’EUPL :
« le livre résonne avec les images auxquelles nous sommes confronté·e·s au quotidien en ce moment : celles de la guerre et de ses conséquences. Le propos est moderne, profondément engagé et emphatique, et non dénué d’un certain humour pince-sans-rire. Une telle écriture génère de l’empathie et peut servir d’outil pour une meilleure compréhension de notre monde. Iva est la voix puissante qui a besoin d’être entendue loin au-delà des frontières de sa Géorgie native.
*Le jury 2022 :
Koukla MacLehose, scout littéraire, présidente du jury européen
Julia Angelin, PDG et agent littéraire de l'agence Salomonsson
Sonia Draga, éditrice et fondatrice de la maison d'édition Sonia Draga
Georgi Gospodinov, écrivain, poète et dramaturge basé à Sofia, Bulgarie
Vera Michalski, présidente de plusieurs maisons d'édition en Suisse, en France et en Pologne et de la Fondation Jan Michalski
Kristīne Pīkenena, directrice de la succursale K. Barona des librairies Jānis Roze
Thomas Überhoff, ancien éditeur chez Rowohlt Verlag et traducteur