[INTERVIEW] Editions Callidor : "Fouiller le passé à la recherche de perles oubliées"

Trois collections pour une maison d’édition qui n’y va pas par quatre chemins pour soutenir la littérature de l’imaginaire et ses noms souvent peu connus, en dehors des grand·e·s amateur·rice·s. Thierry Fraysse, le fondateur de la maison Callidor, nous emmène dans les coulisses de sa démarche éditoriale. ‍

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[INTERVIEW] Editions Callidor :  "Fouiller le passé à la recherche de perles oubliées"

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8/12/2023
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Trois collections pour une maison d’édition qui n’y va pas par quatre chemins pour soutenir la littérature de l’imaginaire et ses noms souvent peu connus, en dehors des grand·e·s amateur·rice·s. Grands classiques réédités, et magnifiés d’illustrations (comme le superbe « Le Grand Dieu Pan » d’Arthur Machen), textes incontournables et grandes sagas remis au goût du jour et enfin épopées inspirées des grands mythes : la littérature fantastique se manifeste sous de multiples formes, toutes aussi indispensables les unes que les autres. Thierry Fraysse, le fondateur de la maison Callidor, nous emmène dans les coulisses de sa démarche éditoriale. 

Comment est née cette maison, quelles sont les grandes lignes de son histoire ? 

Les éditions Callidor sont nées d’un constat, le constat d’un manque sur le paysage éditorial francophone. J’en ai véritablement pris conscience à la fin des années 2000, alors que je m’étais mis en tête de remonter à la source de la fantasy moderne. À l’époque, je m’intéressais beaucoup à la notion d’influence, que j’ai appliquée à mon genre de prédilection. De quel auteur Tolkien s’était-il nourri pour mettre au point sa Terre du Milieu ? Qui avait pu inspirer les héros de David Gemmell, ou les inventions de J. K. Rowling ? 

Petit à petit, j’ai fini par découvrir plein d’auteurs qui sont encore considérés comme des classiques aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais vers lesquels l’édition française ne s’était jamais tournée. J’ai donc créé ma structure pour leur faire une place sur le marché francophone, en espérant que les lecteurs me suivent, et c’est ainsi qu’est née la collection « L’Âge d’or de la fantasy », en 2015. 

Quatre ans plus tôt, j’avais fait paraître la première traduction française de Sweeney Todd, le célèbre barbier de Fleet Street, qui a tendance à raser ses clients d’un peu trop près. Un titre qui m’a mis le pied à l’étrier et qui m’a permis de connaître le monde de l’édition, d’en comprendre le fonctionnement, d’en appréhender les moindres rouages. 

Les débuts, en auto-diffusion et auto-distribution, n’ont pas été de tout repos, et expliquent en partie l’attente (de 2011 à 2015) avant de voir d’autres titres s’ajouter au catalogue. Je suis tombé dans bien des écueils à l’époque, mais cela m’a permis de mieux saisir les enjeux éditoriaux du marché et d’affiner ma ligne. Ce qui n’a pas été un mal, loin de là ;) 


Comment expliquez-vous cette tendance à la disparition de certains auteurs, de certains titres ? 

Il faut bien comprendre que dans le cas de Callidor, il s’agit de publier des auteurs qui ont connu leur heure de gloire (ou une indifférence totale, d’ailleurs) au début du xxe siècle. Il s’agit donc d’écrivains que beaucoup ne considèrent plus comme « modernes ». C’est bien mal les connaître, cependant, car il est question de romanciers qui ont façonné un genre nouveau et qui l’ont fait sans se reposer sur une œuvre fondatrice, comme le deviendra celle de Tolkien cinquante ans plus tard. 

Il est donc normal, en quelque sorte, que ces auteurs et leurs titres n’aient pas tous résisté aux assauts du temps. Après tout, il fallut attendre les années 1960 pour que le genre de la fantasy soit véritablement reconnu en tant que tel. 

Par ailleurs, la littérature est également soumise à des effets de mode. La France a longtemps nourri une attirance pour le fantastique par exemple, et ce n’est que plus tard que la science-fiction a réussi à obtenir un traitement similaire. La fantasy, pour sa part, ne connaît un regain d’intérêt que depuis peu. Au tournant du xxie siècle, la saga d’Harry Potter ainsi que la trilogie du Seigneur des Anneaux au cinéma, portée par Peter Jackson, ont permis de donner au genre un énorme coup de projecteur. C’est dans ce contexte de (re)découverte que certains auteurs ont pu être tiré de leur oubli. 

Enfin, dans un contexte de surproduction, de nombreux titres ne sont plus réédités, car beaucoup préfèrent laisser la place à une nouvelle génération d’auteurs. Un point de vue qui peut tout à fait se défendre. Cela ne joue pas en faveur de ceux qui n’ont pas connu un véritable succès commercial. Sauf que c’est oublié qu’un succès commercial dépend aussi d’un contexte. 

De mon côté, j’ai donc choisi de faire le travail inverse : je fouille dans le passé à la recherche de perles oubliées. Soit parce qu’elles ne correspondaient à aucun rayon en place lors de leur précédente parution (la fantasy étant longtemps rangée au sein d’un rayon plus général, appelé soit « fantastique » soit « science-fiction » – si elle était distinguée de la littérature générale du moins), soit parce qu’elles étaient trop en avance sur leur temps.


Pourquoi ce goût pour les littératures de l’imaginaire chez vous ? 

Je suis un enfant des années 1990, j’ai donc grandi au moment où tout le monde s’est un peu approprié la pop culture. J’étais loin des stéréotypes du geek dans ma jeunesse mais j’ai rapidement développé un goût prononcé pour les quêtes exotiques et tout ce qui touchait de près ou de loin à des univers alternatifs. J’en suis vite arrivé à la fantasy, genre qui concentrait tout ce que j’aimais. 

Mais je ne me suis jamais cantonné à l’imaginaire pour autant, j’ai toujours été un lecteur assez éclectique. Témoins mes parutions, qui me permettent de varier les plaisirs, et de publier aussi bien de la fantasy que du Jack London (L’Appel de la forêt), du Flaubert (Salammbô) ou du fantastique (Le Roi en jaune et Le Grand Dieu Pan). 


Comment choisissez-vous les titres qui vont rejoindre votre maison ? 

Il y a plusieurs collections au sein de Callidor :

« L’Âge d’or de la fantasy », qui met en avant les pionniers de ce genre, autrement dit, ceux qui ont apporté leur pierre à l’édifice de la fantasy au début du xxe siècle et à la fin du xixe. Si un auteur répond à ce premier critère et que son œuvre me plaît et me convainc qu’elle présente un intérêt pour les lecteurs d’aujourd’hui, alors je n’hésite pas. 

« Collector », qui me permet de rassembler des classiques de tous horizons (littérature générale ou d’imaginaire) sous des formats luxueux proches de la bibliophilie, avec des illustrations en couleurs ainsi qu’un appareil critique et une maquette très soignés. 

« Épopée », qui ne compte qu’un seul ouvrage pour le moment, Spartacus de James Leslie Mitchell. Collection dans laquelle j’ai à cœur de publier des ouvrages historiques marquants de la littérature du xxe siècle. 


Vous venez de sortir un titre particulièrement fort et particulièrement soigné, « Le Grand dieu Pan » d’Arthur Machen, qu’aimez-vous chez cet auteur ? 

Machen est un auteur qu’on a trop longtemps négligé, au profit d’autres fondateurs comme Lovecraft, par exemple, dont le nom a transcendé les littératures de l’imaginaire pour s’inscrire au sein même de la pop culture. Lovecraft est devenu bien malgré lui l’arbre qui cache la forêt. « Malgré lui » parce qu’il était lui-même un grand critique littéraire, et qu’il vouait une admiration sans bornes pour bon nombre d’écrivains qui l’ont précédé. Parmi eux, on retrouve entre autres Robert W. Chambers, Abraham Merritt, Algernon Blackwood, Lord Dunsany ou encore Arthur Machen. Ce dernier est sans doute celui qui l’aura le plus marqué. Il s’en réclamait d’ailleurs comme son disciple littéraire. 

Et à la lecture de l’œuvre de Machen, c’est à vrai dire évident, dans la mesure où tout ou presque semble rappeler l’œuvre de Lovecraft. Sauf que c’est plutôt l’inverse, Machen ayant sévi à la fin du xixe siècle et Locevraft n’ayant commencé que dans les années 1910. 

Au-delà de son style qui ne peut laisser indifférent, Machen a le don de la mise en scène, et parvient sans mal à asseoir son lecteur dans une atmosphère très singulière, où rien n’est vraiment horrifique, car rien n’est jamais frontal dans ses récits, mais où tout semble annoncer un mal latent, une menace qui rôde dans un recoin sombre. Nous sommes clairement dans l’indicible, si cher à Lovecraft, et qui vient assurément de Machen. 

L’autre particularité de Machen, c’est de distiller dans ses œuvres des éléments païens, issus notamment de la mythologie celtique. Natif du pays de Galles, il a été bercé aux légendes propres à cette contrée, avec ses fées, son « petit peuple » aux mœurs si étranges. 

Et c’est en mêlant fantastique et mythologie qu’il parvient à créer une œuvre hybride, laquelle jouera un rôle primordial au sein de ce qu’on appellera plus tard la weird literature, une littérature à travers laquelle Machen traduit un malaise profond, une folie contagieuse, le sentiment d’une inéluctable décadence. Et tout ça avec brio. 

Et je ne suis pas le seul à le penser. Après tout, c’est Stephen King lui-même qui a dit, en parlant du Grand Dieu Pan : « Sans doute la meilleure histoire d’horreur jamais écrite en anglais. »


Comment s’est passé le travail éditorial, notamment le choix de l’illustrateur ? 

En 2022, j’ai fait paraître Le Roi en jaune de Robert W. Chambers dans la collection « Collector ». C’est à cette occasion que j’ai pu connaître et travailler avec Samuel Araya, artiste paraguayen qui a interprété l’œuvre de Chambers comme personne n’aurait pu le faire, un artiste doué d’une véritable vision. C’est donc tout naturellement que je me suis tourné vers lui pour le prochain « Collector ». Et c’est d’un commun accord que nous avons choisi les textes qui sont au sommaire du Grand Dieu Pan. Pour lui, c’était un rêve devenu réalité ; pour moi, un véritable accomplissement, celui de pouvoir remettre ce pionnier du fantastique, découvert dans ma jeunesse, sur le devant de la scène. 

Si la partie illustration était laissée au soin de Samuel Araya, il fallait encore développer toute la recherche graphique. Et c’est mon graphiste, Cyril Terrier, qui a permis aux illustrations d’être rehaussées de lettrines et de cadres tous plus sublimes les uns que les autres. 

Il me restait la maquette, pour laquelle j’ai pris le parti d’aller aussi loin que possible dans l’immersion des lecteurs, en utilisant des polices manuscrites pour les échanges de lettres par exemple, ou des encres de couleurs différentes en fonction du texte. Tout est fait pour que le lecteur oublie, en quelque sorte, qu’il s’agit d’une fiction, qu’il se plonge dans ces univers si singuliers, et qu’il s’y perde le temps de sa lecture. 

Je suis assez fier du résultat, et j’espère que les lecteurs apprécieront ! 


Quels sont les titres que vous avez en vue pour un futur proche ? Quel serait votre livre absolu, votre « Necronomicon » à vous ?

Je ne sais pas si j’ai un « Necronomicon » à vrai dire. Mais il est évident qu’il y a encore beaucoup d’auteurs et de titres que j’ai envie de défendre. Parmi eux, impossible de ne pas citer Lord Dunsany : un auteur irlandais dont la prose est inégalée, un maître dont l’avant-gardisme n’est plus à prouver. Et il me tarde de le faire (re)découvrir aux lecteurs francophones au sein de la collection « L’Âge d’or de la fantasy ».

Toujours au sein de cette collection, est paru le 17 novembre Le Visage dans l’Abîme, d’Abraham Merritt. Un titre qui me tient à cœur car si le titre n’était pas inédit sur le sol français, nous n’en connaissions jusqu’à maintenant qu’une version tronquée, amputée de milliers de paragraphes. J’ai donc décidé de rétablir la version initiale de ce roman dans une nouvelle traduction habillée des illustrations du grand Virgil Finlay, le tout étant augmenté d’une préface du non moins célèbre Robert Silverberg. Une heroic fantasy qui se passe dans les Andes, chez les Incas, et qui mérite qu’on s’y intéresse de près ! 

Les prochains Collector arriveront quant à eux fin 2024, j’ai donc le temps. J’ai déjà beaucoup d’idées en tête bien entendu, mais je me concentre avant tout sur les fêtes de 2023, période charnière pour mes titres. 

J’essaie de m’impliquer autant que possible dans chaque parution, de trouver le meilleur angle pour qu’elle soit la plus intéressante et la plus belle aux yeux des lecteurs. Le plus difficile, en fin de compte, c’est non seulement de ne pas se perdre au sein de cette archéologie littéraire, mais également de trouver l’illustrateur qui mettra l’œuvre en valeur, et inversement : l’œuvre qui permettra à l’illustrateur de se dépasser. 

Quoi qu’il en soit, j’avance avec l’idée de faire aussi bien, sinon mieux que ce que j’ai pu faire jusqu’alors, et je suis ravi de constater que les libraires et les lecteurs sont de plus en plus nombreux à me faire confiance. Espérons que cela continue ☺

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