[INTERVIEW] Éditions Bleu et Jaune : "Plusieurs mois sont nécessaires pour créer une couverture"

Depuis plusieurs années, l’édition indépendante innove, explorant des partis pris graphiques audacieux et originaux. Parmi elles, les éditions Bleu et Jaune, spécialisées dans les littératures européennes, font preuve de créativité et de singularité. Tatiana Sirotchouk, leur fondatrice, détaille le travail derrière ce cheminement graphique. 

Regards européens
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[INTERVIEW] Éditions Bleu et Jaune : "Plusieurs mois sont nécessaires pour créer une couverture"

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29/8/2024
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Pourquoi existe-t-il une telle différence entre les couvertures de livres français et celles des autres pays ? Si les anglo-saxons sont les champions du gaufré clinquant, flirtant parfois avec le mauvais goût, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne plaisante pas avec la littérature, en France. Ici, on compose en monochromes de bleu, de blanc, de rose et parfois de noir selon les maisons et les collections, mais la sobriété reste de mise. Cependant, depuis plusieurs années, l’édition indépendante innove, explorant des partis pris graphiques audacieux et originaux. Parmi elles, les éditions Bleu et Jaune, spécialisées dans les littératures européennes, dont plusieurs livres primés par l'EUPL (Prix de Littérature de l'Union Européenne, font preuve de créativité et de singularité. Tatiana Sirotchouk, leur fondatrice, détaille le travail derrière ce cheminement graphique. 

Comment avez-vous défini la ligne graphique de votre maison, pourquoi ce choix très coloré ?

Avec la création, en 2021, de notre collection « Fiction Europe », qui met à l’honneur la richesse et la diversité de la littérature européenne contemporaine, nous voulions mettre en place une identité visuelle forte et unique. Selon un auteur et théoricien de l’art très connu, « le jaune apporte toujours une lumière » et « le bleu apporte toujours une ombre ». Cette approche fondamentale se retrouve au cœur de l’identité visuelle qui a été pensée pour la collection « Fiction Europe » : avec jeux de couleurs, d’ombres et de lumières, elle confère une nouvelle dimension à toutes ces œuvres venues d’ailleurs et met en avant la littérature haute en couleur.

Réalisé d’abord par WIPbrands et Sean Habig, puis par Sean Habig, avec les illustrations de Mikki Rosa, le concept de couvertures vise à mettre en lumière – au sens à la fois propre et figuré – un personnage, un objet concret ou encore une chose abstraite que le lecteur découvre et comprend au fil des pages. La citation sur la quatrième de couverture donne quelques indices, tandis que le marque-page intégré suggère deux directions de lecture opposées : c’est aux lecteurs et aux lectrices de choisir. Le bandeau, qui signale la récompense internationale, acquiert ainsi une véritable fonction, car il permet aux lecteurs et aux lectrices d’être partie prenante du livre.

Pourquoi observons-nous de telles différences graphiques entre les pays ? Qu’est-ce que cela reflète, culturellement parlant, selon vous ?

Comme l’explique Sean Habig, qui s’occupe du design de nos couvertures, « nous n’avons pas cherché à représenter les pays à travers le style d’illustration et les couleurs ». En effet, cette approche aurait été trop simpliste. Pour moi, la véritable vocation d’un livre, d’où qu’il vienne, est d’émouvoir et de faire réfléchir, et c’est ce que nous cherchons à incarner dans nos couvertures. Sean le précise aussi : « Nous voulions capturer une émotion qui rend chaque livre spécial. Nous avons essayé d’éviter les clichés liés au pays où se déroule l’histoire, où le livre a été écrit. » L’objectif était de créer une identité qui valorise à la fois chaque livre et l’ensemble de la collection. À notre manière, nous avons interprété la devise de l’Europe : « Unie dans la diversité ».

Par ailleurs, nous revendiquons, à travers ces couvertures, notre liberté éditoriale, littéraire et créatrice d’interpréter chaque livre, d’avoir notre regard, de partager notre vision, de transmettre un message qui nous tient à cœur. C’est aussi le rôle de la citation sur la quatrième de couverture, ou encore des mots-clés sur le marque-page intégré dans le bandeau : tout a été pensé jusqu’aux détails. Nous sommes allés encore plus loin en choisissant une police au nom très évocateur – à savoir Geograph – pour le titre des livres.

Comment se déroule le travail d’adaptation d’une couverture ? Le graphiste conserve-t-il des éléments de la couverture d’origine ?

Plusieurs mois sont nécessaires pour créer une couverture. Nous commençons par travailler autour de notre vision, de notre compréhension du livre. Il y a d’abord un échange d’idées entre Sean et moi, nous voyons comment chacun de nous perçoit et comprend le livre à publier : nous analysons quelques passages marquants, les personnages, les métaphores ou, parfois, les détails récurrents. Ensuite, Sean prépare des croquis, de trois à cinq, en général. Puis nous choisissons ensemble la direction qui nous convient le plus, et l’illustrateur crée une illustration. Par la suite, il y a un travail sur les couleurs, et le photograveur intervient aussi. C’est ce véritable processus de création, à plusieurs mains, qui est le plus important et que nous revendiquons.

Voici le « AVANT/APRÈS » – ou plus précisément le « APRÈS/AVANT » – de la couverture du roman Le Cimetière des Héros, d’Adrian Lesenciuc, traduit du roumain par Raymond Clarinard et Iulia Badea Guéritée :

© Éditions Bleu et Jaune
© Éditions Bleu et Jaune

Comment sont reçues les couvertures de votre maison par les lecteur·ice·s ? Quels sont les retours que vous avez à ce sujet ?

Il suffit d’aller voir les commentaires de nos abonnés sur Instagram… Les retours sont positifs et enthousiastes, autant de la part de nos lectrices et de nos lecteurs que de la part des professionnels du livre. Nous avons même reçu un courriel où une personne nous faisait savoir qu’elle achetait tous nos livres en double, car ils prendraient certainement de la valeur, avec le temps, auprès des collectionneurs… D’autres nous disent qu’elles n’osent pas découper le marque-page pour ne pas toucher à l’ensemble du design, tellement c’est beau…

Vous avez radicalement changé d’identité visuelle par rapport à vos premiers livres, qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

C’est la volonté d’avoir une identité graphique audacieuse et unique, surtout pour mettre en valeur la littérature européenne contemporaine issue de langues de moindre diffusion, qui est notre cheval de bataille. Nous aspirons également à rendre notre maison d’édition identifiable à travers nos couvertures et la qualité de nos ouvrages. De plus, cette démarche représente une étape cruciale dans le développement de notre maison d’édition. Aujourd’hui, le design, le logo et le nom des Éditions Bleu et Jaune constituent l’identité de notre marque, qui est déposée et protégée.

Avez-vous eu des échos sur la manière dont est perçue l’esthétique des livres français à l’étranger, notamment chez nos voisins européens ?

Chaque pays a ses standards dans l’édition. Par exemple, en Europe, c’est souvent la couverture rigide qui prévaut. La couverture souple correspond plus aux standards français pour la littérature.

Pour nous, ce qui est primordial et ce que nous défendons, c’est un travail soigné : une impression de qualité faite en France, par l’imprimerie Firmin Didot qui existe depuis le xviiie siècle ; un papier de création pour les couvertures ; un papier haut de gamme, mais écoresponsable, car issu des forêts gérées durablement, pour l’intérieur… Cette qualité se remarque toujours, peu importe le pays de production du livre.

Quant à la perception de l’esthétique à l’étranger des livres français, dont les nôtres font partie, je vais donner juste un exemple : en décembre 2021, le roman d’Artem Chapeye Loin d’ici, près de nulle part publié par notre maison d’édition a été présenté au président ukrainien comme étant l’une des meilleures éditions de la littérature ukrainienne à l’étranger…

© Éditions Bleu et Jaune

L’identité graphique de nos livres sert à attirer l’attention sur cette littérature contemporaine européenne, riche en grandes œuvres littéraires, qui méritent d’être connues auprès des lectrices et des lecteurs français. Avec dix livres publiés dans la collection « Fiction Europe » et quatre autres qui arrivent dans les prochains mois, on peut dire que c’est déjà le cas.

© Éditions Bleu et Jaune

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