Roman à la croisée des genres et des thématiques, "Trois fois la colère" s'illustre comme une œuvre singulière, plurielle et vivante.
Que se passe-t-il quand deux professionnel·le·s du secteur de la BD décident de faire bouger les cases ? D’ouvrir des réflexions sur la mainmise éditoriale des gros groupes, Bolloré en tête, de poser un autre regard sur la création contemporaine, d’inviter à choisir ce que l’on lit, prescrit, recommande, avec un prisme un peu différent ? Avec Courts Bouillon, Quentin et Floriane proposent du contenu inédit à travers une newsletter et un compte Instagram. Au programme, des critiques, des interviews, des créations originales, une lecture politique de l’actualité qui secoue le monde de la BD, et, bien sûr, de nombreuses recommandations de lecture loin de l’ombre des gros groupes éditoriaux. Lire entre les lignes n’a jamais été aussi enrichissant.

Comment est né ce média numérique, à partir de quels constats ? Vous adressez-vous plutôt à l’interprofession ou tout autant au grand public ?
Courts Bouillon est né d’un constat simple : la BD, qui a longtemps été un terrain de contestation, s’est fait rattraper par une industrie très concentrée et peu encline à porter des récits vraiment critiques. Alors que la colère monte chez une nouvelle génération d’auteur·rices (sur les réseaux, dans les festivals, partout…) ce qui domine dans les circuits visibles reste trop sage face aux enjeux actuels. On a donc voulu créer un espace réellement indépendant, où puissent émerger des récits engagés et créatifs. Un lieu qui permette de faire circuler d’autres imaginaires et de redonner un peu de mordant au débat. Quant au public, on s’adresse autant à l’interprofession (auteur·rices, éditeur·rices, libraires…) qu’à toute personne qui aime la BD, qui veut lire des interviews, découvrir des BD inédites… Courts Bouillon est pensé comme un média ouvert et accessible !
Comment allez-vous choisir les auteurs et autrices qui vont y contribuer ?
Nous choisissons les auteur·rices en allant chercher celles et ceux dont le travail résonne avec notre vision : des voix libres capables de bousculer un peu l’ordre établi. On se renseigne beaucoup, on échange, on lit leurs travaux pour comprendre si leur démarche colle à l’esprit de Courts Bouillon. Notre objectif, c’est de leur offrir un espace où ils et elles pourront s’exprimer comme ils le souhaitent, dire ce qu’ils veulent et créer les BD dont ils ont réellement envie. On cherche donc des personnes qui partagent cette envie d’exploration, d’indépendance et de franc-parler : et à qui il ne manque parfois qu’un cadre pour le faire pleinement.
Vous êtes tous les deux des professionnel·le·s de l’édition de BD, comment sont perçues vos prises de positions par vos supérieurs et collègues ? Le ras-le-bol de cette logique économique est-il général ?
En réalité, nous n’avons ni supérieurs ni collègues : Courts Bouillon, c’est juste nous deux ! Du côté des autres professionnel·le·s du livre, on a reçu énormément d’encouragements. Ça fait du bien, ça met du baume au cœur et ça confirme qu’on n’est pas les seul·es à ressentir ce ras-le-bol face à la logique économique actuelle. Ces retours nous donnent surtout envie de continuer : s’il y a autant d’écho, c’est bien qu’un changement est largement désiré dans le milieu.
Ne craignez vous pas qu’en mettant autant l’accent sur cette poignée de milliardaires qui concentrent médias et maisons d’édition (et c’est un vrai problème, nous sommes tous d’accord), on en vienne à oublier de parler de ce qui se fait par ailleurs, à l’initiative des auteur·rice·s, mais aussi des maisons d’édition ?
Notre travail comprend deux pans : le premier est en effet de rendre visibles les liens capitalistiques, les rapports de pouvoir et la concentration qui rendent l’édition dépendante. Le second est de soutenir les alternatives qui cherchent à exister à côté. Cela passe par des interviews et des recommandations, mais aussi à notre échelle par le développement de nos propres petites BD. Selon nous, la crise systémique que nous connaissons (écologique, sociale, démocratique…) découle d’une impossibilité à la fois de concevoir le problème dans son ensemble, mais aussi de se projeter ailleurs. L’un ne va pas sans l’autre, cette crise est aussi celle de nos imaginaires et nous souhaitons en proposer de nouveaux.

Quelle place allez-vous accorder à l’édition indépendante, à ces démarches éditoriales et humaines qui forment le véritable paysage éditorial français ?
C’est elles que nous cherchons en tout premier lieu à soutenir. Nous sommes en lien avec la plupart des éditeurs alternatifs de bande dessinée et cherchons à rendre leur travail plus visible. Dans notre newsletter, nous revenons régulièrement sur leurs actualités et dans notre rubrique “recommandations” nous ne parlons que de leurs ouvrages. Puisqu’ils disposent de moins de moyens pour faire ce travail d’intérêt général, l’idée est de leur consacrer une attention toute particulière.
Le FIBD n’aura pas lieu, apparemment, en 2026. Devons-nous nous féliciter ou craindre une onde de choc violente pour l’ensemble du secteur, surtout pour les éditeurs de moyenne et petite taille ?
Nous pouvons nous en féliciter et craindre cette onde de choc à la fois. À vrai dire, les personnes les plus mobilisées étaient celles qui avaient le plus à perdre à court terme, éditeurs et éditrices indépendant·es qui jouent parfois leur survie là-bas, auteur·ices pas toujours très connu·es… Ça faisait des années que tout cet écosystème réclamait du changement, d’être considéré.es et d’être pleinement inclus.es dans ce salon qui prenait une dérive toujours plus commerciale. Ils ont tenu bon et ensemble, ils ont amené ce changement. Si le choc a été si grand, c’est avant tout parce que l’organisation a préféré faire la sourde oreille jusqu’au dernier moment. Il y aura des conséquences à court terme, et les petit·es éditeur·ices en sont conscients, mais à un moment il faut aussi savoir dire stop. Nous avons eu l’occasion de revenir sur le sujet à plusieurs reprises sur notre compte Instagram, et nos posts ont beaucoup été relayés par des acteur·ices du milieu. Alors on vous y renvoie pour plus de détails !

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