Rencontre avec Odile Flament, la fondatrice toc toc toc des éditions jeunesse Cot Cot Cot
Chaque année, la listes des pays participants au Prix de la Littérature de l’Union Européenne, EUPL en version originale, tourne. Cette année, la Bulgarie compte un lauréat, Georgi Bardarov, avec un roman historique et humaniste. L'occasion d'échanger avec Anzhela Dimcheva, présidente du jury, et de découvrir les grandes lignes et enjeux de la littérature bulgare contemporaine. Fenêtre ouverte sur le monde, la littérature nous permet, entre autres, de découvrir le réel dans lequel nous vivons sans nécessairement connaître celle de nos voisins et voisines d'Europe.
Comment avez-vous rejoint l’aventure EUPL ?
J’ai été nommée par le bureau de l’Union des Écrivains Bulgares. En septembre 2020, l’Union a reçu une lettre de Myriam Diocaretz (NDLR : la secrétaire générale de la Fédération des associations d’écrivains européens) qui recherchait un·e écrivain·e qui soit également critique littéraire. Le président de l’Union était familier de mes participations à des conférences internationales sur la question du droit de prêt public, il a considéré que je serais une bonne candidate pour le jury bulgare.
Quel est le processus, des premières sélections à la shortlist, et enfin jusqu’aux gagnants ?
Tout d’abord, j’ai demandé aux autres membres du Jury de contacter des éditeurs Bulgares afin qu’ils nous proposent des livres éligibles, en plus de la vingtaine que j’avais contactés de mon coté. Notre jury a tenu 4 réunions : à la troisième, nous avions déterminé la shortlist, et à la 4e, le vainqueur. Nous avons reçu 15 livres éligibles et je peux dire que les membres du jury ont lu les livres très consciencieusement. Nous avons débattu de la shortlist le 17 mars et sélectionné 5 livres sur les 9 proposés. J’ai rempli les formulaires demandés par l’équipe de l’EUPL à Bruxelles. Un·e de nos candidat·e·s a été rejeté·e pour des raisons techniques et nous avons du conserver 4 personnes. La réunion a eu lieu le 17 avril. 2 tires ont été rejetés par votre à bulletin ouvert, et nous avons finalement élu notre gagnant, Georgi Bardarov pour son roman « Absolvo te ».
Qu’apporte l’EUPL aux auteurs·trices en compétition ?
En tant que présidente du Jury Bulgare, j’ai fait de mon mieux afin d’attirer l’attention des médias sur les nominés et leurs livres. Par exemple :
1. Mon article dans l’un des quotidiens les plus populaires, « Trud »
2. J’ai participé à l’émission de télévision « Culture BG » sur la télévision nationale bulgare
3. Une interview que j’ai donnée à la Radio Nationale Bulgare
Cette campagne active a dynamisé les ventes des livres de nos auteurs. À la fin du moins de juin, le lauréat Georgi Bardarov a présenté son roman et rassemblé plus de 200 lecteurs au Palais National de la Culture. Il a donné plusieurs interviews, et suite à l’annoncent de son succès international, son livre a été imprimé à nouveau.
Qu’aimez-vous particulièrement dans le style des auteurs·trices sélectionné·e·s ? Et plus spécialement chez le lauréat ?
Il y a des auteur·trice·s très talentueu·se·s dans la shortlist bulgare : l’un d’entre eux est Vladislav Katsarski. Son recueil de nouvelles « The Abandoned Land » est tellement magnétique que le lecteur·trice ne peut pas s’interrompre. C’est un homme aveugle, donc son imagination est sans limites. Il est connu depuis plus de 20 ans en tant que poète (4 recueils à son actif), journaliste et animateur radio. Le livre en compétition était sa seconde fiction et il était sur le podium de nos choix. Je qualifierais sa prose de réalisme néo-mythologique. L’auteur crée un monde fictionnel et non fantastique où les passions deviennent un ballet objectivé. Un monde de mythes ayant forme humaine - avec des instincts primitifs et des conflits, éclairés par l’angle du folklore, mais également avec des symboles cosmogoniques, à la fois chrétiens et païens. Même s’il n’a pas gagné le prix, son livre mérite d’être traduit et proposé à une audience plus large. C’est un remake du monde magique de Marquez, mais dans la tradition des Balkans.
Le vainqueur bulgare est un « nouveau ». Il y a 5 ans, Georgi Bardarov a gagné l’émission de télévision « Le Manuscrit », qui était un concours d’écriture à la télévision nationale bulgare. La récompense était la publication de son premier roman « I am still counting the Days ». Fin 2020, son second roman « Absolvo te » est sorti et s’est tout de suite retrouvé en tête des meilleures ventes. Le roman met l’accent sur les sujets historiques majeurs en Europe, toujours d’actualité : le séparatisme ethnique et social, les oppositions religieuses et politiques, la montée du nationalisme et des idéologies extrêmes. L’intrigue est intense, le style de l’auteur est prenant et tient le lecteur en haleine à travers des personnages forts et des messages humanistes bien sentis. L’auteur est un narrateur talentueux qui insuffle l’idée de tolérance et de pardon par le biais de l’empathie pour les personnages et événements de l’Holocauste et du conflit Israélo-Palestinien. Lire ce roman élève le lecteur et le rend plus tolérant. Je pense que si « Absolvo te » est traduit dans d’autres langues, il aura un fort impact sur l’Europe multiculturelle qui se bat pour l’égalité entre les religions, les cultures et les pays, mais aussi dans le fait de surmonter les conflits militaires dans le monde.
Pourrez-vous nous parler en quelques lignes du paysage littéraire bulgare, de ses voix, des ses thématiques fortes ?
La littérature Bulgare recherche actuellement un nouveau visage. Diverses tendances se développent : des auteurs·trices de fiction travaillent dans une certaine tradition narrative, d’autres expérimentent. La même tendance est observée en poésie. Il y a plusieurs écrivain·e·s de fiction qui ont rencontré une audience internationale par la traduction de leurs romans ou nouvelles dans le monde entier, y compris en Chine ou aux USA. Ce sont des personnes entres 52 et 62 ans : Georgi Gospodinov, Zdravka Evtimova, Deyan Enev, Alek Popov. Par ailleurs, la poésie bulgare est très riche en poètes, mais ils ne sont pas connus en Europe car les maisons d’éditions ne les traduisent pas et ne les mettent pas en valeur, et l’Etat n’a pas de programme de mise en avant de la culture Bulgare autour du monde. Les poètes recherchent des traducteurtrices par leurs propres moyens et paient de leur poche la traduction à l’étranger. C’est un processus lent et difficile. Le pourcentage du budget d’Etat alloué à la culture est le plus bas d’Europe : -0,5%. Les regroupements créatifs (artistes, auteur·trice·s, musicien·ne·s, acteur·trice·s danseur·euse·s) ne reçoivent aucune aide de l’Etat. En plus, il n’y a pas d’organisation qui protège les droits du monde culturel. Nous pouvons ajouter à cela que les directives liées au prêt public n’ont pas été mises en place dans les faits. Les écrivaines sont des freelance qui ne reçoivent pas de droits sur leur travail dans la mesure où les débouchées de la nageuse bulgare sont restreintes, la circulation des livres est régionale et ne couvre même pas les frais de production. En ce sens, la publication de chaque nouveau livre Bulgare coûte beaucoup financièrement à l’auteur·trice.